"Mort ou Vif"à la nouvelle Fondation Francès
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Mort ou Vif, Dimitri Tsykalov
Mort ou Vif, Dimitri Tsykalov
Mort ou Vif, Serrano Andres
Mort ou Vif, Serrano Andres
Mort ou Vif, Desiree Doloron
Mort ou Vif, Silverthorne Jeffrey |
A l'initiative d'un couple de collectionneurs, cette fondation vient d'ouvrir en septembre 2009 avec une collection très engagée commencée depuis 5 ans seulement. A partir de 2010, un artiste sera en résidence, en cohérence avec l'exposition.
A chaque exposition, ils ont décidé de mettre en avant un artiste avec sa galerie en connotation avec d'autres œuvres et le titre de l'exposition. Cette première exposition a pour titre "Mort ou vif", tout un programme avec Dimitri Tsykalov, défendu par la galeriste Rabouan-Moussion de Paris. Les photos de la série "Meat" ou Chair à canon, de Dimitri Tsykalov d'origine russe, vues au MEP à Paris en 2008 représentent des guérilleros avec des armes à la main, mais elles sont en réalité faites de chairs mortes, de viande crue. Rien n'est beau, le regard est rude, les dents sont prêtes à mordre. Ces individus recouverts de viande brandissent des armes dont les balles sont en réalité des saucisses. Ces images nous renvoient la violence en pleine face, la puissance du corps, la virilité. Dans une autre pièce, une femme nue dont le visage porte un masque de viande. Cette femme inerte est muselée, comme mangée, différence entre femmes et hommes. La perfection se dégage dans ce travail. Dans le jardin, une voiture Rolls Royce en bois avec une balançoire de Dimitri Tsykalov. La nature recouvre petit à petit l'œuvre. On peut courir après le luxe mais la nature reprend toujours le dessus. Dans cette même pièce, nous remarquons "XTériors VIII", 2004 de la photographe néerlandaise Désirée Dolron. Elle s'inspire de la peinture "La leçon d'anatomie du Docteur Tulp" de Rembrandt. C'est un travail sur le corps, on n'arrive pas à distinguer si c'est un jeune homme ou une jeune femme, si l'être est mort ou apaisé, si c'est un drap de sommeil ou un drap de linceul. Notre regard est troublé, est-ce une peinture ou une photographie ? Cette lumière plonge en diagonale sur ce corps figé d'une blancheur ivoirine et trois femmes illuminées, apaisées, sereines l'entourent dans la pénombre. Sont-elles des réminiscences du temps passé ou contemporaines. Nous sommes à la frontière du mystérieux et du secret, de la vie et de la mort, du conscient et de l'inconscient. Nous avons pu voir cette photo à Art Bruxelles. Cette artiste travaille ses photos pixel par pixel jusqu'à l'obsession d'où la qualité de l'image pour faire ressortir cette expression intemporelle et universelle. Dans les pièces, nous avons un face à face de la série "Morgue", des photos classiques de Jeffrey Silverthone américain, travail de 1972, et les photos actuelles d'Andres Serrano (hondurien et afro-cubain) de New-York, travail de 1992 se parlent entre elles. Les corps peuvent être ailleurs, en noir et blanc, ou en couleur, décédés mais semblent vivants. La série de Serrano a été faite dans les morgues américaines de NY en 1992. Les photos des morts sont des corps anonymes. Les corps sont intacts, propres, cousus tel un costume. Ils ont été autopsiés et recousus, soit suite à un coup de couteau, soit suite à un accident. Ils peuvent être décédés de maladie, du sida d'où l'enveloppe sous forme de drap, différente selon l'endroit du décès. La composition est classique, flamande. Serrano est de religion catholique et vit dans un monastère new-yorkais. Au premier étage "Homicide, morgue, 1992" d'Andres, un tissu rouge recouvre le visage. Les plis de ce tissu nous rappellent un tableau de Magritte : deux corps proches l'un de l'autre avec ce tissu sur leurs visages mais blancs. Ces photos sont belles, elles donnent une deuxième vie. Elles peuvent paraître sordides, insoutenables. Non, elles nous font réagir afin de vivre pleinement. Dans le couloir "Airplane Crash" de Serrano, le temps s'est arrêté (montre vide), le matériel n'est plus important car il n'y a plus de temps. Dans une autre pièce, un caveau de Werner Reiterer (autrichien) "Je suis plus fort que la mort" vu à la Fiac en 2008 à la galerie Lombard. C'est un cercueil en bois d'où un avant-bras surgit, érectile, rageur, le poing en avant. On vacille par peur ou on oscille vers la rage. A choisir : on domestique ce qui nous inquiète ou l'on dépasse ce qu'on nous impose. Est-ce un homme enfermé vivant à tort ou condamné à mort par asphyxie ? Un film de 2H30 de Regina José Galindo (née en 1974 au Guatemala) sur une performance faite en 2008. Une similitude est instaurée avec le tableau de Gabriel Von Max de 1869, "L'anatomiste". Elle a pris du valium et s'est fait passer pour morte en Argentine dans un espace culturel. Elle s'expose nue placée sous un drap blanc, inerte, comme une œuvre d'art aux yeux des visiteurs. Dans ce film, on peut voir les différentes réactions des visiteurs. Ils soulèvent plus ou moins ce tissu blanc, curieux et avides de savoir si cette belle nudité indécente est un cadavre ou non. Les gestes de ces personnes sont précieux. Nous les regardons avec amusement, détachement ou écœurement. C'est une artiste très engagée, elle défend la cause des femmes, les violences et les polices répressives. Elle prend son corps comme médium et le filme. Elle a eu le prix du Lion d'Or destiné aux artistes de moins de 30 ans à la Biennale de Venise en 2005. On ne reste pas de marbre, cette exposition nous rappelle ce que nous voulons oublier. L'émotion est forte, puissante, avec des références mythologiques, bibliques. Nous sommes dans le spirituel, l'immatériel. On en sort pas indemne, nous frémissons. Certains seront choqués. Cette exposition est faite pour réveiller nos consciences. Un coup de chapeau à ces collectionneurs Estelle et Hervé Francès fortement engagés. Surtout pour avoir eu le courage de s'installer à Senlis au Nord de Paris, un village plutôt BCBG loin des transports en commun. Ils veulent partager, montrer leur collection et défendre à chaque fois un artiste et une galerie. Une collection puissante dédiée au corps. Elisabeth Petibon
Paris, novembre 2009
Fondation Francès, 27 rue Saint Pierre, 60300 Senlis
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