Figures du Fou
Musée du Louvre, Paris
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Figures du Fou

Figures du Fou, Aquamanile Aristote et Phyllis, New York
, © The Metropolitan Museum of Art

Voilà une exposition que le musée du Louvre consacre aux multiples figures du fou qui abondent dans l'univers visuel du XIIIe au XVIe siècle, avec bien sûr des peintures du XVIIIe et XIXe, et des dessins de Victor Hugo, qui va faire parler d'elle. Manuscrits enluminés, livres et gravures, tapisseries, peintures, sculptures, objets précieux ou du quotidien : entre le Moyen-Âge et la Renaissance, soit plus de 300 œuvres et documents environ. Cette figure du fou, qui a pris de nouvelles significations à travers le temps notamment à partir du XIXe siècle, et le début du XXe, a imprégné l'espace non seulement artistique, mais la littérature, la psychanalyse, la sociologie, et même jusqu'au début de l'aventure surréaliste. Dommage que l'époque contemporaine n'ait pu être traitée dans cette exposition.

La figure du fou est étudiée à travers le prisme de l'histoire de l'art. L'ouvrage/catalogue de l'exposition, aux nombreux textes, ne traite pas de la folie en tant que maladie mentale, mais de la représentation des fous et de sa portée symbolique de la fin du Moyen Âge au XIXe siècle. Il présente une autre vision de cette temporalité, moins centrée sur la religion et plus profane. Les directeurs d'ouvrage prônent la transdisciplinarité, avec tout type de médiums et techniques réunis, et suit un parcours chronothématique : le fou et Dieu, le fou et l'amour, le fou à la cour, le fou en ville, le simple d'esprit du village, que nous connaissons, le triomphe de la folie à la Renaissance, jusqu'aux résurgences de la folie aux XVIIIe et XIXe siècles.

Il est dit que : "Infini est le nombre des fous", dans l'Ecclésiaste, chap. 1,15. Nous connaissons les multiples significations du mot et son image de marginal. On verra un ensemble de tableaux, de sculptures et une abondante production artistique d'objets, raffinés ou quotidiens. Le voyage à travers les temps prend fin à l'âge classique – une sorte de suspension – pour réapparaître sur le mode subversif au XIXe siècle, après la révolution, et avec la naissance de la psychiatrie (voir à ce sujet le texte de Laura Bossi dans le catalogue, l'auteur avait écrit un texte auparavant qui s'intitulait : Peindre le fou au XIXe siècle – voir évidemment le livre de Michel Foucault).

Les tableaux flamands et allemands du corpus sont présents dans cette exposition, les vitraux, les gargouilles de Paris, des Bas-reliefs de Berlin, les Livres d'heures, un coffret composite étonnant provenant de Cluny (1300), Aristote et Phillis, Munich 1500, une sculpture en cuivre, c'est la folie de l'amour ici représentée par Phillis (la maîtresse d'Alexandre chevauchant Aristote ridiculisé, marquant le pouvoir de la femme ; des gravures, le Portrait de fou regardant à travers ses doigts, Anvers, Maître de 1537, affiche de l'exposition et couverture de l'ouvrage. Füssli et sa Lady Macbeth, Lucas de Leyde, les danses macabre de Bâle, une copie de Margot l'enragée par un artiste allemand, nous n'avons pas ici la Dulle Griet de Pieter Brueghel l'Ancien (1563), inspirée du folklore gantois, qui est restée au musée Mayer van den Bergh d'Anvers. Il y a ce masque étonnant de Konrad Seusenhofer, Armet à visage de fou d'Henri VIII d'Angleterre, vers 1511-1514 (fer forgé, gravé à l'acide, laiton, dorure) ; les fêtes de carnaval ou le Maître de Francfort, La Fête des archers d'Anvers (1496-huile sur bois), ou ce Portrait d'un fou de Marx Reichlich, du XVIe siècle, ou le Cercle de Jörg Breu l'Ancien, Plat aux fous, 1528, huile sur bois ; il y a cette mappemonde dessinée dans un masque d'une tête d'après Jean de Gourmont, "Ô tête digne de l'ellébore", vers 1590, une estampe aquarellée.

Les thèmes de l'exposition abondent : figures d'exclus, vierges folles, la figure de saint François d'Assise après avoir reçu les marques de la souffrance du Christ, les stigmates dans son propre corps sera qualifié de jongleur de Dieu, "fou de Dieu". Le bouffon du roi ne pouvait s'exprimer hors du contexte fermé de la cour. Ailleurs, on l'aurait pendu. Amour courtois, Lancelot et Tristan ; le thème de la luxure, éros et thanatos, le thème des Vanités qui figurent l'être humain réduit à l'état de squelette… fugacité de la vie, memento mori. Ainsi Charles VI (1380-1422) fut troublé profondément par des crises de folies… le cas de Jeanne de Castille (1479-1555) n'ayant pas supporté la mort subite de son époux Philippe le Beau en 1506, fut enfermée jusqu'à la fin de ses jours par son père Ferdinand II d'Aragon et son fils Charles Quint. On la nomma Jeanne la Folle. Vers 1500, la figure du fou apparaît dans la culture européenne avec deux ouvrages très différents, La Nef des fous de Sébastien Brant (1497, en allemand), et L'Éloge de la folie d'Erasme, en 1511 – absent de cette exposition resté au Kunstmuseum de Bâle. L'ouvrage deviendra plus célèbre que celui de Brant. En peinture, Jérôme Bosch, peint Le Concert dans l'œuf, La Nef des fous. Goya est présent, tout comme le tableau figurant le Docteur Pinel libérant les aliénés en 1795, par Charles Müller en 1849. Laura Bossi écrit qu'il incarne "la légende de la fondation d'une discipline nouvelle par Philippe Pinel (1745-1826), en l'An II de la République. Inspiré par le Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa du baron Gros (1804), il montre au centre l'aliéniste dans la cour de l'asile, suivi par ses disciples, donnant l'ordre à un employé de limer les chaînes qui entravent un vieillard dénudé.". Plus loin dans le parcours, il y a cette œuvre étonnante de Jan Matejko, Stanczyk (1862), une scène durant un bal costumé, après la perte de Smolensk (une huile sur toile) l'homme est prostré, le regard vers le sol ; et le magnifique Quentin Metsys et atelier, représentant un Concert dans un œuf de Bosch et sa Satire des noceurs débauchés dit La Nef des fous, magnifiques ! Certaines images évoquent le comique, ce comique apparaît libératoire, subversif, c'est qu'il autorise la violation de la règle, comme le disait Umberto Eco. La notion de satire s'appuie sur deux vénérables institutions : le fou du roi et le carnaval. Le fou du roi, qui pouvait se permettre d'adresser au souverain les critiques les plus cruelles. Et le carnaval, qui est synonyme de laxisme : on se souvient des légionnaires romains qui ne se gênaient pas pour évoquer en chanson la "reine" Jules César – une allusion assez claire aux escapades homosexuelles, réelles ou supposées, de leur chef. Ainsi la débauche carnavalesque ne pouvait durer que quelques jours, ces dérapages limités dans le temps n'étant pas admis le reste de l'année. Voir à ce sujet le texte de Mikhaïl Bakhtine (L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Ed. Gallimard, 1965.)

L'exposition se clôt par le tableau de Courbet, Portrait de l'artiste dit Le Fou de peur (vers 1844-1848), prêté par le National Museum of Art d'Oslo, que l'on voit rarement. Superbe ! Allez-y gaiement ou furieusement ! humer ce florissant voyage dans les temps anciens qui offre des images fortes et parfois emplies d'humour.
Patrick Amine
Paris, novembre 2024
 
 
Figures du Fou du Moyen-Age aux Romantiques
Musée du Louvre, du 16 octobre 2024 au 3 février 2025. Hall Napoléon
Commissaires : Élisabeth Antoine-König et Pierre-Yves Le Pogam
www.louvre.fr
 
Notes :
Catalogue sous la direction des commissaires, Élisabeth Antoine-König et Pierre-Yves Le Pogam Musée du Louvre - Gallimard. Oct.2024.
• Un ensemble de plus de 350 œuvres mêlant peintures, sculptures, objets d'art. 456 p. 45 €. Textes des commissaires, de Laura Bossi (Naissance de la psychiatrie), Werner Mezger, Michel Weemans, Larry Silver (Du fou aux marginaux dans l'art des débuts de l'époque moderne). Autre petit volume par les mêmes auteurs : Figures du fou, Gallimard/Musée du Louvre. Coll. Découvertes, Carnet d'Expo. 11, 50 €. Rappelons le livre d'Erasme, Éloge de la folie (1511), une des éditions de 1511, illustrée avec des gravures sur bois par Hans Holbein l'Aîné, a fourni les illustrations les plus célèbres de l'ouvrage. • Note sur les concerts du Louvre : "Chants et musiques de la folie", auditorium Michel-Laclotte du Musée du Louvre, Paris 1er. Cycle de six concerts, du 23 octobre au 7 février 2025. De 15 € à 38 € ; abonnement à partir de quatre séances, de 28 € à 33 €. Voir : Louvre.fr – Colloques et conférences. Dates sur le site du Louvre.
• Tout le monde est fou et nul ne porte grelots / "Iedereen is gek en niemand draagt belletjes" : "Iedereen is gek en niemand draagt bellen", refrain d'une chanson anonyme, Anvers, 1524. Référence dans le catalogue des Figures du fou.

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