Alter EgoA propos de l'exposition Faux Jumeaux
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Faux Jumeaux Michel François
Faux Jumeaux Michel François |
Des œuvres plastiques misent en relation avec d'autres sur le mode de la ressemblance. Une exposition de pièces qui ont chacune un double. Pas un faux, mais un double, une représentation dédoublée sans origine ni commencement ; la différence s'établissant moins sur une œuvre originale confrontée à sa copie, qu'entre les reflets multiples d'un même objet.
La question de l'exactitude par rapport à un original supposé est donc d'emblée écartée, puisqu'il ne s'agit pas d'un pur et simple plagiat, bien que certains doubles puissent flirter avec cette frontière. La similitude est ici "parfaitement" fortuite, c'est-à-dire que l'on présume son innocence ; on se trouve devant une pièce avec une impression de "déjà-vu", l'objet et son double ne se sont jamais trouvés réunis ; l'exposition rend ce couplage possible. Ces couples de jumeaux accidentels sont des trouvailles. On retrouve souvent plus qu'on invente, il existe un double quelque part, parfois on tombe dessus, alors tout semble moins unique en son genre. La ressemblance est induite par l'exposition : une pièce est montrée qui renvoie à une autre pièce connue ou non. On a, du coup, des pairs qui composent des symétries parfois dissonantes — Ces jumeaux peuvent être effectivement disjonctifs jusqu'à gauchir (copyleft ?) ou inverser l'objet dont elle est le référent : le M3 d'infini de Pistoletto, avec lequel débute la série des expositions, renvoie à L'absence d'infini de Ann Veronica Janssens — Faux jumeaux parce que faux frères ? De sorte que plutôt que double, on préférera le mot de jumeau, et même de faux jumeaux, qui place l'exposition sur le terrain relationnel, et plus particulièrement sur celui de la famille. Car des familles, il y en a, on y revient, puisqu'est réuni ce qui était séparé, sont rendues visibles grâce à son presque frère, trouvé ou retrouvé, des familiarités entre artistes. Cette relation que les Faux jumeaux finissent par cristalliser est l'instrument et l'alibi d'une filiation à interroger. Une pièce est-elle toujours solidaire d'une autre pièce ? "Je pense dans les autres et les autres pensent en moi." disait Brecht. De là, ces couples que l'exposition agence selon un continuum, suppose un troisième terme : la relation elle-même. De fait, il existe une tension telle un fil tendu entre toutes ces pièces, qui semble faire de ces objets, des corps. Or, trouver des liens renvoie à un indivisible, qui est aussi le temps de l'art, passé, présent, et à venir, fût-il actuel. Cette addition pourrait porter ainsi le jeu mimétique de la représentation au cœur de son tremblement, quand tout clignote de trop, comme si on ne cessait de découvrir que produire est une histoire qui bégaie factuelle et réifiée. Sauf qu'il n'en est rien, ce que suggèrent ces mises en relation est une interrogation : Comment faire pour que l'autre regarde ; pour que l'altérité soit maintenue, et que d'un objet, on ne fasse pas un point aveugle, mais un mouvement d'aller-retour entre un corps et un autre corps ? Si la question de l'authenticité est vide de sens (tout objet est une collection d'objets en même temps qu'un hypothétique premier-né) que devrait-on penser d'un mimétisme fortuit, de ces fausses gémellités sans préméditation ? Sont-elles des fictions ? Sans doute, si on considère que le souvenir procède par réinvention, ces faux jumeaux sont des miroirs de la mémoire, des réminiscences. Ces corps jumeaux forcent à déceler la part imaginée dans l'objet vu. Répétons-le, il n'y a pas de différence entre nous et le monde, entre le monde et sa représentation, si tout n'est déjà plus que simulacre. Ces Faux jumeaux nous portent finalement à considérer les œuvres de l'intérieur et alentour par une démultiplication des lignes de fuite. Philippe Van Cauteren, le directeur du SMAK à Gand, a proposé une carte blanche durant un an à Michel François pour la programmation de deux salles du musée à partir du mois d'octobre 2008. (Cette programmation indépendante précédera une exposition solo au SMAK à partir d'octobre 2009). Pour cette programmation, Michel François a choisi deux salles identiques et a baptisé son projet Faux Jumeaux. Une quinzaine de personnalités est invitée à choisir chacune un duo d'œuvres "jumelles" d'un point de vue formel et de les exposer simultanément dans chacune des deux salles. Cette ressemblance de formes, de matière, d'assemblage, de texture entre les deux œuvres (plastiques, cinématographiques, littéraires, médiatiques …) devra être accidentelle. Ces propositions feront l'objet d'un livre à la fin du processus, en octobre 2009. La présentation changera chaque mois : des duos seront ajoutés, d'autres seront supprimés. Les commissaires invités (Loïc Vanderstichelen, Daniel Mc Lean Joël Benzakin, Yves Brochard, François Curlet, Guillaume Désanges, Lea Gauthier, Jean-Paul Jacquet, Laurent Jacob, Rainier Lericolai, Raya Lindberg, Christine Macel, Frank Maes, Hans Theys et Philippe Van Cauteren) viendront débattre publiquement de leur sélection de Faux Jumeaux tout au long de l'année. Raya Lindberg
Bruxelles, mai 2009
S.M.A.K, Stedelijk Museum voor Actuele Kunst, Gent, du 18.10.2008 au 03.01.2010
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