Ex Africa
Musée du quai Branly Jacques Chirac
Orlan

Orlan (African Self-Hybridizations, 2003 © Adagp, Paris, 2021)

"Un canon esthétique élargi s'ouvre au visiteur, dans un dialogue permanent du passé au présent, du classique au neuf". "Il en résulte une gamme de relations complexes, riches, évolutives, traversées d'allégeances et de contrariétés parfois, qui font la trame extrêmement vivante de Ex Africa".
Emmanuel Kasarhérou, président du Musée du quai Branly



Le musée du quai Branly Jacques Chirac interroge le contemporain comme ce fut déjà le cas l'an passé avec l'excellente exposition "à toi appartient le regard et (…) la liaison infinie entre les choses", aujourd'hui c'est l''exposition Ex Africa qui envisage de nous présenter une réflexion en trois chapitres sur les rapports de l'art contemporain africain et européen. 34 artistes de réputation internationale y participent, choisi par Philippe Dagen, commissaire de l'exposition.

A l'heure des questionnements et des débats sur la restitution et le devenir des œuvres africaines à leur pays d'origine, cette exposition fait valeur de manifeste et aimerait faire bouger les lignes et les données de l'art contemporain et de l'institution muséale, nous annonce Philippe Dagen qui veut prendre ses distances avec la notion de Primitivisme (en référence à l'exposition New-Yorkaise au MoMA en 1984) qu'il considère comme une construction occidentale, née du temps de la colonisation, où l'art africain fonctionnait comme un réservoir de solutions plastiques et esthétiques moderniste. Sa thèse est de prouver qu'actuellement les artistes ne l'utilisent plus comme un répertoire de faits stylistiques mais en raison de leur histoire même. Il pose cette vitalité des questionnements et des pratiques et axe l'exposition en trois chapitres : le premier pose la question de l'appropriation des formes africaines dans l'art contemporain, le deuxième chapitre pose la question de ranimer et "ré humaniser" les objets et la troisième partie est consacrée à la réactualisation politique, religieuse, sexuelle des objets.

L'exposition présente 34 artistes de réputation internationale, qui ont investi, à divers degrés leur rapport, quelque fois douloureux, à l'Afrique. Qu'ils soient africains ou occidentaux, tous ont une relation binaire aux deux continents et ont un rapport fort à l'art contemporain et à la culture. Ici c'est surtout la culture africaine traditionnelle que l'occident a sorti de son contexte et a muséifiée, la situation post colonialiste et les projections futures, qui en sont les points de rencontre omniprésents. Chéri Samba ouvre et ferme l'exposition avec des œuvres (Hommage aux anciens créateurs, 1999 ; quel avenir pour notre art, J'aime la couleur, 2010 et La vraie carte du monde, 2011) posant les questions cruciales et emblématiques évoquées par l'exposition sur le passé, le présent et les devenirs possibles

Quatre cartes blanches ont été données à Kader Attia, Romuald Hazoumé, Myriam Mihindou et Pascale Marthine Tayou.
Kader Attia aborde par des entretiens filmés de divers interlocuteurs africains, européens et américains, les différents aspects autour du problème épineux et brulant de la restitution des œuvres à leur pays d'origine, du musée, du collectionneur privé et de l'histoire de l'œuvre. Les réponses sont complexes et variées et mettent en lumière de multiples notions plus nuancées que la simple restitution. La vie propre des objets, leurs parcours du contexte originel au musée, leurs influences sur les personnes les ayant côtoyés, leurs apports spirituels et immatériels mais également les changements dans les rapports ethniques et religieux et politiques des pays d'origine, qui se sont modifiés entre temps. Dans cette installation les visiteurs sont assis aux côtés de sculptures qui semblent écouter les commentaires sur leur sort.
Cette présentation se complète par ailleurs dans le catalogue, par un questionnaire de quatre questions posées aux artistes participant à l'exposition autour de leurs rapports aux arts anciens d'Afrique : le premier contact, l'apport dans l'imaginaire et l'influence dans leurs créations, leurs propositions concernant la restitution ou pas des objets au pays d'origine.
Myriam Mihindou propose quant à elle une installation comprenant une sculpture (Trophée, 2020), une vidéo (Miroir des lucioles, 2013) et une série de photographies (N'abandonne pas les images, reprends-leslà où tu les as laissées…), évoquant les destructions de la révolution française et le sens des "objets de mémoire".

Des poupées Pascale en verre sont accrochées à une structure en bambou et survolent un lit de feuilles mortes (Eséka, 2020). Pascale Marthine Tayou évoque quant à lui le destin d'une ville Eséka au Cameroun, marquée par une catastrophe ferroviaire en 2016 et par la découverte d'un filon d'or, ce qui modifia la structure de la ville.

Romuald Hazoumé a réalisé une œuvre emblématique "No Return, 2021" issue de l'actualité ; en créant une spirale au sol évoquant l'art divinatoire Fâ Yoruba avec des tongs abandonnées par des migrants sur les plages d'Afrique.
Romuald Hazoumé s'est fait connaître mondialement par ses masques réalisés à partir de bidons d'essence revisités, il en présente aussi quelques uns dans l'exposition dans un ensemble d'œuvres sur ce thème de Kader Attia, Calixte Dakpogan, Emo de Medeiros, David Hammons, Gonçalo Mabunda, Pascale Marthine Tayou.
Les masques sont récurrents dans la culture et dans l'exposition ; ils sont aussi au centre d'une installation de Théo Mercier (Sans titre 2020), qui a amassé sur le sol comme un amas de débris des copies artisanales faites pour les touristes. David Hammons les a enfilé comme sur une brochette créant une sculpture murale se terminant par un miroir.

Franck Scurti à quant à lui thermoformer en plastique des masques trouvés aux puces, évoquant la spoliation, la perte et l'écart entre le modèle et la copie. Bertrand Lavier détourne les masques bambara ou baoulé en les moulant et en les fondant en bronze nickelé. Il a aussi détourné des objets contemporains comme un tuba (Tusa, 2018) pour en faire des fétiches.
John Edmonds quant à lui revisite les photographies de Man Ray avec masque et modèle. Puis mixant son propre visage et des masques africains traditionnels, ORLAN crée des photographies de personnages hybrides avec ses Self- hybridations.
L'hybridation entre les deux continents se trouvent aussi représentée de manière récurrente dans l'exposition, elle est dans les oeuvres de Dinos et Jake Chapman (Collection, 2017) avec d'étranges sculptures mélangeant statuaires traditionnels africaine et imagerie de fast food américaine ou de Sarkis et de Jean Michel Alberolo . Et dans un contexte plus érotique chez Jean Jacques Lebel (Statuette tricéphale colonisée, 1980) ou Annette Messager (Attye avec Barbie, 2020).

Les aspects de cette exposition sont multiples et ouvre des réflexions que l'art peut aborder avec sérieux, gravité mais aussi avec sérénité et humour.
Elle sort l'art contemporain occidental de son axe Europe/Amérique qui domina le XXe siècle pour la revivifier dans un rapport Nord/Sud, avec tout ce que cela comporte de complicités et de douleurs. Les questionnements se repositionnent à tous niveaux et l'art et les artistes ont sans doute à jouer un rôle important d'ouverture et de catalyseur des énergies positives.
 
Pascal Vrignaud
Paris, juillet 2021
 
 
Ex Africa, Musée du quai Branly Jacques Chirac Présences africaines dans l'art d'aujourd'hui Commissaire Philippe Dagen, jusqu'au 11 juillet 2021

Artistes exposés :
Léonce Raphael Agbodjelou - Jean-Michel Alberola - Kader Attia - Steve Bandoma - Jean-Michel Basquiat - Alun Be - James Brown - Seyni Awa Camara - Jake & Dinos Chapman - Calixte Dakpogan - Emo De Medeiros - Hervé Di Rosa - Kifouli Dossou - John Edmonds - Gloria Friedmann - David Hammons - Romuald Hazoumè - Jean-Baptiste Jean-Joseph - Bertrand Lavier - Jean-Jacques Lebel - Gonçalo Mabunda - Théo Mercier - Annette Messager - Myriam Mihindou - ORLAN - A.R Penck - Nazanin Pouyandeh - Chéri Samba - Sarkis - Franck Scurti - Pascale Marthine Tayou - Pathy Tshindel - Françoise Vergier

Barthélémy Toguo, Désir d'humanité
Commissaire Christiane Falgayrettes-Leveau, jusqu'au 5 décembre 2021
Il est à noter (et à visiter) que le musée présente également, en collaboration avec la Fondation Dapper une exposition personnelle de Barthélémy Toguo, artiste pluridisciplinaire et engagé. Il travaille le dessin, la peinture, la céramique, la vidéo mais aussi l'installation. Ces inspirations sont multiples, internationales et inspirées pour l'état du monde. Il a aussi créé au Cameroun, en 2013, la Bandjoun Station, un lieu de résidence artistique, d'échange et de formation pour les jeunes, d'agriculture responsable et d'autosuffisance alimentaire.

www.quaibranly.fr
Barthelemy Toguo

Barthélémy Toguo,
© musée du quai Branly Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine

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