Ensor, rêves fantasques au KMSKAAu-delà de l’impressionnisme
James Ensor, Intrigue
James Ensor, Masks Confronting Death, 1888, The Museum of Modern Art, New York 2024
James Ensor, Squelettes se disputant un hareng-saur
James Ensor, Les squelettes se réchauffent, Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas
James Ensor, Adam et Eve expulsés du Paradis
James Ensor, Le squelette peintre
James Ensor, Les tentations de saint Antoine Abbé
James Ensor, Chute des anges rebelles
Ensor, Mangeuse d'huîtres restaurée
Ensor, Mangeuse d'huîtres avec couche de vernis encrassée
James Ensor, Autoportrait avec chapeau fleuri, Collection Mu.ZEE - Ostend
Ensor Research project 2 © Kmska |
Après Bruxelles, Ostende, c'est à Anvers au KMSKA de célébrer James Ensor (né en 1860 à Ostende et décédé en 1949 dans sa ville natale). L'année Ensor 2024 ne serait pas complète sans une exposition au Musée royal des Beaux-Arts Anvers (Kmska), sous le commissariat de Herwig Todts et le co-commissaire, Adriaan Gonnissen.(1)
La Belgique célèbre James Ensor durant toute l'année 2024 ; la première exposition s'est déroulée à Bruxelles, au Bozar, qui fut très "électrique", sous le commissariat de Xavier Tricot, et aujourd'hui en septembre, à Anvers (au KMSKA), sous un autre angle. Il y eut celle d'Ostende, la ville natale du maître des figures et portraits masqués, des intérieurs bourgeois (L'intérieur des Rousseau, 1884) ou modestes, où la danse macabre des squelettes s'infiltre gaiement dans les décors les plus insolites et les plus simples. Un hommage : 75 ans après sa mort. Les parents d'Ensor tiennent à Ostende une boutique où ils vendent des masques de carnaval ainsi que d'autres issus du théâtre japonais et chinois. Ces objets marquent l'imaginaire le jeune James qu'ils introduira dans toutes ses œuvres pratiquement. Masques, squelettes, insectes anthropomorphes s'immiscent dans ses œuvres. Il est possible que James Ensor ait pris connaissance des œuvres de l'auteur Michel de Ghelderode (1898-1962, Bruxelles, d'origine flamande), de son œuvre, Le grand macabre, ainsi que de ses œuvres dramatiques. L'univers onirique d'Ensor est empli de visions sauvages, de ses masques, un ensemble qui forme son univers satirique. Dans cette exposition Ensor, d'autres artistes historiques, sources de son inspiration, sont présents dans cette exposition : Manet, Munch, Goya, Bosch, Odilon Redon, Monet, etc. Nous savons que le musée, KMSKA, dispose de la plus importante collection Ensor au monde et abrite notamment le Projet de recherche Ensor, maître moderne. À la fin du XIXe siècle, il n'est pas le seul artiste à peindre des masques, mais son style se différencie des autres artistes par sa perspective esthétique et avec persévérance dans les représentations de son imaginaire prolixe. La scénographie de l'exposition fait une grande part à la diversité colorées des salles où sont aussi suspendus des masques, une imagerie carnavalesque dans l'esprit du maître et de ses thèmes. Un parcours aéré très agréable. L'iconographie d'Ensor fait une large part au grotesque et au burlesque, avec la présence de la figure de la mort dans de nombreux tableaux. Notons des images assez hilarantes et infernales qui lui sont propres. Dès la fin du XIXe siècle, période de la littérature décadente française, mais qui s'est proposée en Europe, surgit une nouvelle vision du bien, du mal, de la volupté et du désir. Baudelaire et Huysmans ne sont pas loin. On peut lire encore le livre d'Emile Verhaeren sur Ensor, publié en 1908, qui garde un certain charme. Regardons cette œuvre magnifique : La mangeuse d'huîtres (1882), et les autres qui s'offrent à notre regard alerte qui ne se lasse pas ; les nombreux intérieurs, les figures du Christ – Ensor présente le Christ comme une figure révolutionnaire, il l'acclame comme "roi de Bruxelles", le jour du Mardi gras, au moment du carnaval, – en référence à son grand tableau : L'entrée du Christ à Bruxelles (1889), qui est au Etats-Unis à présent. Suivent : Adam et Eve chassés du Paradis terrestre, Le salon bourgeois (1881) et la Rue de Flandre au soleil, la Chute des anges rebelles. La partie Au-delà l'impressionnisme met en exergue la relation entre le cabaret l'Enfer et le Christ aux outrages d'Henri Degroux ; il inspira également un Rik Wouters (1882-1916). Ensor connaissait finalement très peu l'impressionnisme. Il se donne le but d'être l'artiste d'avant-garde de la Belgique. "Souvent poussé par des vents contraires, j'ai navigué vers des régions fantastiques.". En 1887, Ensor peint Adam et Eve chassés du Paradis terrestre (KMSKA) et dessine La Tentation de saint Antoine (Art Institute Chicago), deux œuvres clés qui sont le départ d'une nouvelle aventure esthétique. Les tableaux et les dessins présentés déploient une sorte d'aura ardente et fulminante. Tous les portraits de 1890, La Nature morte à l'échiquier, les Squelettes se disputant un hareng-saur, les masques scandalisés, les différentes sanguines, L'arrestation de Pierrot, Saint Antoine, les fantasmogories, Les sept péchés capitaux, Squelettes se disputant un pendu, ou regardant des chinoiseries, Les insectes singuliers. Ensor avait lu sans aucun doute Edgar Allan Poe. La trajectoire d'Ensor révèle son côté anarchiste. Il se libère du mouvement des divers impressionnistes pour affirmer sa voie, son originalité. Il suffit de lire certains de ses écrits publiés naguère. Signalons une nouvelle fois ce recueil remarquable intitulé : Vive l'art vivant, où l'on percevait l'engagement radical du maître sur diverses questions relevant de l'histoire de l'art, des institutions et des idéologies de l'époque. J'ai pu en rendre compte dans un article paru dans le journal Le Monde, Vive L'art Vivant, de James Ensor, il y a quelques années déjà. (2) James Ensor a transfiguré et théâtralisé, en poète, un monde carnavalesque à travers la représentation de la mort, par les masques et surtout par son style inimitable, évoquant parfois L'Enfer de Dante, et les grandes peintures historiques sur le même thème, non sans une touche ironique et pleine d'humour en se mettant en scène d'une certaine manière. Il voulait blesser les philistins avec une "mâchoire de chameau". Disait-il. Patrick Amine
Bruxelles, octobre 2024
Ensor, Rêves fantasques, Au-delà de l'impressionnisme, du 28.09.2024 au 19.01.2025.
Au Kmska, Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers, Musée Kmska, Léopold de Waelplaats 1, 2000 Anvers www.kmska.be Notes : Commissaire : Herwig Todts, co-commissaire Adriaan Gonnissen. (1) Catalogue, Hannibal Books, 256 p. Edition en français et en anglais, sous la direction d'Erwig Tods. (2) Aux Editions Séguier. Article publié dans Le Monde du 09.05.1997. "James Ensor (1860-1949) est plutôt connu pour sa peinture de cruautés tranquilles. Mais moins pour ses textes en forme de grenades qui ont touché quelques écrivains. Quelle énergie ! "J'aime l'image adjectivée", disait-il. Et il ne s'en prive pas dans ses réponses tordantes au questionnaire de Proust. Rêve de bonheur : "Blesser les philistins avec une mâchoire de chameau" ; couleur préférée : "La cuisse de nymphe émue, rouge anglais, postérieur de macaque roséolé." Son texte sur la crise de la peinture est véhément et incantatoire, tout autant que son Sus aux censeurs ! André Malraux citait toujours cette phrase : "Les suffisances matamoresques appellent la finale crevaison grenouillère." (Ed. Séguier, 74 p., Inédit.)". Pour mémoire. Rappelons que Bruxelles a aussi joué un rôle essentiel dans la vie et la carrière d'Ensor. Il a été élève pendant trois ans à l'Académie royale. Fernand Khnopff et d'autres talents en devenir comptaient parmi ses camarades de classe. Il gardera toute sa vie un lien particulier avec la capitale et y exposera et séjournera à plusieurs reprises. Bruxelles était la deuxième maison d'Ensor. |