David Hockney
De la Tate Gallery au musée Granet
David Hockney
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David Hockney

David Hockney, A Bigger Card Players, 2015
Dessin Photographique imprimé sur papier et monté sur cadre aluminium,
177 x 177 cm, Galerie Lelong & co, Paris, @ David Hockney

A Bigger splash, film/document sur David Hockney réalisé en 1973 par Jack Hazan est de nouveau à l'affiche du cinéma "Le Mazarin" à Aix-en-Provence. Mais, c'est l'exposition présentée par la ville au Musée Granet d'Aix-en-Provence qui fait en ce moment évènement, "une [plus] grande éclaboussure" sur la scène des arts en Provence autour du mythe vivant qu'est David Hockney (né en 1937, à Bradford, Royaume-Uni).

La collection (destinée spécifiquement aux expositions internationales) appartenant à la Tate de Londres est visible à Aix jusqu'au 28 mai 2023. C'est une rétrospective partielle de la production de l'un des artistes contemporains les plus connus au monde, d'un artiste qui toute sa vie questionnera styles et techniques. Nous découvrons cette exposition en empruntant un parcours scénographié en 9 sections :

Mariage de style, nous apprend qu'Hockney, dès le début des années 1960, à l'instar de Picasso qu'il découvre à Londres durant l'été 1960, a pour ambition de peindre des œuvres de styles différents, voir d'utiliser plusieurs styles dans une même œuvre. "Tea Painting in a illusionistic Style" [Peinture de thé dans un style illusionniste] (1961) exécutée alors qu'il est étudiant au Royal College of Art (RCA) en est une illustration. C'est le témoignage de son éclectisme stylistique pleinement revendiqué, l'une des quatre "Demonstrations of versatility" [Démonstrations de versatilité] qui, tout en se différenciant par son style des trois autres pièces, montre que le peintre puise pour la même œuvre à des sources variées et mélange ses influences. "j'ai délibérément entrepris de prouver que je pouvais faire quatre types de tableaux entièrement différents, comme Picasso" confie-t-il. L'esprit est en alerte devant ce melting pot plastique et s'amuse de la faute d'orthographe involontaire faite par le peintre dans le mot TEA ou il inverse les lettres A et E. La toile présentée lors de l'exposition d'étudiants "Young Contemporaries" de 1962 pourrait tout à la fois être apparentée aux recherches des "lettristes" développées en France en 1945 à l'arrivée de son fondateur Isodore Isou. Elle montre aussi l'intérêt d'Hockney pour le Pop Art (qui émerge aux Etat-Unis au même moment) tout autant que pour les recherches picturales de son compatriote Francis Bacon auquel il empreinte sa technique picturale, son coup de pinceau. Dans cette première salle on pourra également s'attarder sur ses "Study for Dollboy" [Etudes pour Dollboy], travaux d'étudiant avec lesquels il aborde avec humour et force codes le sujet de la masculinité et de l'homosexualité pénalisée en Angleterre jusqu'en 1967.

Los Angeles, ville de tous les fantasmes érotiques de David Hockney, qui importe de Californie en Angleterre des magazines prohibés sur le sol britannique, accueille en 1964 notre artiste âgé de 27 ans. Tout autant que les adonis beaux et musclés qui peuplent ses rêves, la lumière vive et les vastes espaces américains le séduisaient depuis longtemps. Hockney sera le chantre d'une culture homo-érotique aujourd'hui irrémédiablement liée au L.A. sexuellement tolérant de la fin du XXe siècle. Il représentera donc "la ville des anges" baignée d'une clarté omniprésente se glissant entre des plantes tropicales, des palmiers et caressant les piscines aux eaux turquoises ondoyantes de villas somptueuses figurées par des surfaces en "champ coloré" vues chez Mark Rothko et Barnett Newman. Il aimera peindre des hommes, saisis sous la douche ou dans un bain, dans des positions gracieuses. La question de la représentation de la transparence, de l'eau notamment, le taraude jusque dans les années 1970.

Vers le naturalisme, explore le travail d'Hockney de la fin des années 1960 et des années 1970. Ce travail transpire la sensibilité des personnes et des lieux tels que l'artiste les voit. Les scènes sont dessinées ou captées par un appareil photo qui lui permet de réaliser soit des images Polaroïds juxtaposées les unes à côté des autres en laissant visibles les marges blanches, soit des peintures de plus en plus réalistes où les perspectives accentuent l'espace. En 1968, il se lance dans une série de portraits. Ses personnages, souvent doubles portraits d'amis ou de connaissances, acquièrent eux aussi une profondeur psychologique nouvelle et prennent des poses nonchalantes ou formelles.

La carrière d'un libertin, montre, comme puisée dans un carnet d'images, une série de gravures d'Hockney, réalisée durant les années 1961 à 1963. Cet ensemble regroupé sous le nom de "A Rake's Progress" [La carrière d'un libertin], s'inspire d'une série (connue sous le même nom), de William Hogarth (XVIIIe siècle). Elle retrace l'histoire et les expériences d'un jeune gay arrivant à New York. Hockney se met en scène. Il évoque, au moyen d'une technique pseudo-rapide rappelant le croquis à la mine de plomb, des situations vécues. Lui par exemple, sous un arbre, suivant du regard de jeunes athlètes aux fesses rebondies.
Cavafy et ses amis, présente, dans cette même section 4, une série de gravures inspirées du poète gréco-égyptien, Constantin Cavafy. Ce sont des gravures aux traits fluides et précis, illustrant les quatorze poèmes érotiques écrits par Cavafy durant son séjour à Alexandrie en Egypte. Ces gravures sont publiées en 1967 alors que le Parlement britannique vient de légaliser par le Sexual Offences Act, les relations homosexuelles.

Point focal changeant, rappelle que durant les années 1980 Hockney travaille sur des supports différents. Il explore d'autres techniques picturales, celle de Matisse par exemple, propose aussi une vision différente du monde. En effet, il a découvert la peinture chinoise et sa perspective. Cette dernière, est née au IV siècle de l'expérience des lettrés qui, retirés de la cour, vivent dans les montagnes. Ils y ont développé une peinture dite narrative. Le sujet/modèle n'est pas regardé, comme le font les peintres en occident depuis Brunelleschi, à travers une fenêtre virtuelle. Il est appréhendé par l'œil du peintre qui circule dans l'espace et le temps. Le paysage chinois ainsi que les scènes de la vie quotidienne qui y prennent place sont comme assimilées par l'artiste dans leur complexité. Hockney, que ce soit dans ses portraits, ses natures mortes, ses intérieurs ou ses paysages, privilégie lui aussi la mobilité du regard. Il utilise une perspective inversée des points de vue mobiles où l'œil du spectateur ne sait même plus distinguer l'intérieur de l'extérieur.

Expériences spatiales, souligne que dans les années 1990 Hockney implique encore davantage le spectateur dans ses compositions. L'artiste réalise que l'appareil photo, qui était son outil de prédilection "banalise le monde et décourage l'observation active". Il se livre à des expériences graphiques avec des tablettes digitales. Lui qui avait négligé l'abstraction s'y intéresse. Il suggère les formes au lieu de les figurer.

Dans l'atelier, revient sur l'idée du portrait qui n'est plus double comme trente ans auparavant, en groupe ou isolé. Hockney s'expose, minuscule, au milieu de ses œuvres anciennes et récentes. 3000 photographies numériques assemblées se jouent de la perspective conique.

Paysage, témoigne de l'intérêt que porte Hockney à la peinture de paysage à partir des années 2000. Il se met à utiliser la photographie numérique et dès l'année 2010 il utilise une tablette graphique (plus particulièrement l'iPad) pour une série de dessins sur l'arrivée du printemps, puis il explore la technique de la vidéo "afin de faire des images plus grandes" et parle d'images immersives en mouvement sur plusieurs écrans (ce que nous avons pu voir à l'exposition au Centre Pompidou-Paris, en 2017). Cette période, est la parfaite illustration des rapports complexes qu'établit Hockney entre la photographie et la peinture. Les pièces exposées à Aix-en-Provence le montrent-elles vraiment ?

Les maîtres du sud, termine le parcours. On y comprend qu'Hockney ne s'est jamais départi de l'admiration qu'il avait, depuis ses débuts pour Picasso mais aussi pour tous les maîtres anciens et modernes de la peinture. La couleur domine dans ses œuvres où son geste est visible. Il construit la surface de la toile à la manière de Cézanne. Il en est autrement de ses œuvres où de nouveau il utilise l'appareil photographique comme un "outil de dessin" qui lui permet de donner une dimension narrative à la peinture qu'il exécute à partir des ses clichés ou dans des grandes compositions réalisées avec des photomontages.

En fin de parcours, nous resterons tout de même un peu sur notre faim. En écho avec ce qui devrait être attendu de l'œuvre d'un grand artiste, le travail d'Hockney marque-t-il véritablement une rupture dans l'expression artistique et la création de son époque ? Suscite-t-il une quelconque émotion ? La technique picturale des pièces présentées est-elle parfaitement maîtrisée ? Par ailleurs, d'une part, l'exposition itinérante est en fin d'une course qui a commencé au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 2021, d'autre part, un bon nombre des œuvres montrées sont des multiples. (lithographies, gravures, photos…)
Business is business ! Inutile de s'aventurer à Aix si l'on a eu la chance de voir et si l'on se souvient de la remarquable rétrospective consacrée à l'œuvre d'Hockney présentée au Centre Georges Pompidou en collaboration avec la Tate de Londres et le Metropolitan Museum de New York à Paris en 2017. On pourrait être quelque peu déçus. Nous ne l'avons pas été en visitant, également à Aix-en-Provence la remarquable exposition consacrée à Yves Klein par le Centre d'art à l'Hôtel de Caumont… A suivre.
 
Philippe Albou
Aix-en-Provence, février 2023
 
 
David Hockney, Collection de la Tate, jusqu'en mai 2023
Musée Granet, 9 Rue Cardinale, Aix-en-Provence
www.museegranet-aixenprovence.fr

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