Daniel Lehman, exporevue, magazine, art vivant et actualité

Sur le mur de sa cellule, le prisonnier trace des bâtons qu'il biffe d'un trait quand son compte est bon, avant de recommencer une nouvelle série.
Patience.

Un autre jour, il se met à épingler des papillons ou autres insectes minuscules. En lignes, en colonnes ou en damiers.
C'est ainsi qu'opère Daniel Lehman dont les compositions formelles, aux dimensions variables, présentent des structures en pavement. Ornementées de signes, ces planches ne sont pas seulement décoratives. L'aspect sériel de leur apparente ordonnance, en faisant dialoguer l'Un et le Multiple, rend perceptible cette proposition philosophique : la suite des hommes est un seul homme. Car si ces compositions ouvrent autant de fenêtres dans le cadre desquelles la plume dépose ses icônes à l'encre de Chine, c'est l'unicité d'un univers concentrationnaire qu'elles concourent à créer : des cycles, au sens où l'entendent les mathématiciens, se développent dans l'espace clos du tableau. Les valeurs du noir et du blanc s'y disputent la remarquable platitude du paysage qui se donne à voir. Un paysage qui aurait minutieusement organisé son abstraction, déployant une savante orchestration de stratagèmes tenant de la géomancie. Des flux s'y entrecroisent, se combinent ou se neutralisent : l'harmonie stabilisatrice qu'il réussit à construire n'est-elle pas à considérer comme un héritage du Taôisme ? L'approche cognitive chinoise tend à l'appréhension globale et simultanée de l'ensemble des éléments situationnels, selon une conception holiste qui s'oppose radicalement à la tradition analytique occidentale.
Daniel Lehman expose en Belgique pour la première fois. Concepteur de jeu, il a intégré les stratégies des anneaux d'encerclement du jeu de Go. Sa maîtrise du terrain nous vaut de ressentir le danger de l'enfermement.

Ainsi procède la victoire de celui qui, prisonnier, est parvenu à négocier sa liberté (conditionnelle), en interaction avec ceux qui ont accepté ses règles implicites.