Dans les interstices de l'Histoire
A propos du film d'Eric Deroo "D'un clandestin, l'autre"
D'un clandestin, l'autre
D'un clandestin, l'autre
D'un clandestin, l'autre
D'un clandestin, l'autre
D'un clandestin, l'autre
D'un clandestin, l'autre
 

D'un clandestin, l'autre

Baron Richard, 2010, D'un clandestin, l'autre

Si les hommes constituent la matière-même qui nourrit l'Histoire, alors il doit être possible de modifier le récit, en se glissant dans les interstices des souvenirs défaillants. C'est ce que tente Éric Deroo dans son film, où il recompose à la fois sa biographie et celle des fraudeurs de l'Histoire.

Des archives accumulées sur près de quarante ans, des bribes de témoignages, des récits impossibles à vérifier et des épopées fictives : c'est là le cœur du film. Car il est ici beaucoup question de combats dans des pays lointains, qui renvoient l'écho des guerres coloniales du XIXème siècle. Éric Deroo a fait ses études dans un lycée militaire avant de devenir artiste, et il semble envisager la guerre comme un univers propice à la fiction, une ouverture vers l'imaginaire.

Les "témoins" du film sont-ils acteurs de leur vie, ou se laissent-ils porter par les événements ? Le réalisateur avoue au début du film avoir lui-même participé à un mouvement artistique fantasque, une sorte de happening permanent qui a néanmoins rencontré le succès. Il est donc attiré par ceux qui inventent leur vie entre réel historique et fiction, quitte à se déguiser. Ainsi de son ami Titus, éternel comédien des cérémonies de commémoration, qui incarne aussi bien un Poilu de 14-18 qu'un résistant de 1940. Ou cet ancien combattant des tirailleurs sénégalais dont le récit d'une bataille de la Deuxième guerre mondiale s'avère pour le moins douteux.

Au fond le film pose une question essentielle sur le statut de l'image et du témoignage : faut-il croire une photographie ou un récit sur parole ? La construction du film tend à placer la vérité historique du côté du narrateur, en voix off, puisque bien souvent Éric Deroo corrige le récit qui s'affiche à l'écran. Mais puisqu'il existe des photographies de Titus en résistant ou en républicain espagnol, c'est que l'histoire peut s'inventer après coup. La temporalité se brouille, il n'y a plus de ligne droite d'une époque à l'autre. Et lorsqu'il filme des mercenaires britanniques en pleine préparation d'un putsch, Éric Deroo suggère que ces hommes des années 1990 appartiennent à un temps révolu, que leur heure de gloire est déjà passée. Le coup qu'ils préparent se termine d'ailleurs sur un quiproquo quelque part en Amérique latine, un ratage prévisible et tragique.

Restent les images, fixes ou animées, qui semblent vouloir contredire la voix off du narrateur, pour prouver qu'elles existent bien. Quant aux hommes, ils s'évaporent dans la mémoire du XXeme siècle, comme le baron Richard, collectionneur d'uniformes militaires, qui vit désormais reclus dans son musée personnel.
 
Olympe Lemut
Paris, octobre 2019
 
 
 

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