Chine : une nouvelle génération d'artistesChina, a new generation of artists, Centre Pompidou Paris
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Lu Yang, DOKU, The self, 2022, Vidéo, Berlin
Shen Xin, Solar Wheels, 2024, Vidéo
Chen Wei, How About Dancing, 2021, Photographie
YU JI, Column No.3-2, 2023
YU JI, Column No.4-2, 2023
Nabuqi, The doubtful site, 2018
Nabuqi, The doubtful site, 2018
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Chen Wei, New Gate, 2021, Photogaphie
Qiu Xiaofrei, A Pillow for Eating Dreams, Huile sur toile, 2023
Yao Qingmei, Fencing : Fight Landscape Fight, 2019-2021
Cui Jie, Sculpture Park et Porcelaine giraffes |
En 2003 déjà, lors des "Années croisées France-Chine", le Centre Pompidou a esquissé, avec une exposition nommée "Alors la Chine", le panorama des différentes expressions artistiques chinoises entre le XXe et le XXIe siècle naissant. Il s'agissait d'une exposition centrée sur "la Chine des créateurs et de la modernité", une approche moderne des arts de la Chine contemporaine de l'époque. Elle tentait à prouver que le dialogue entamé au XVIe siècle entre la Chine à l'extrême orient et la France à l'extrême occident du continent ne s'était pas interrompu. Elle marquait le moment où l'art contemporain chinois faisait son entrée sur la scène internationale suscitant intérêt et enthousiasme dans le monde entier (1). Il n'avait été découvert d'art chinois contemporain que dix ans auparavant avec des artistes nés entre les années 1950 et 1990 qui pour la première fois accédaient à la scène internationale. En effet, dotée d'un art raffiné deux fois millénaire, la Chine avait, pendant de longues périodes, été réfractaire à une quelconque ouverture sur le monde. La révolution de 1911 (Xinhai), le mouvement du 4 mai 1919 (Wusi Yundong), la guerre avec le Japon (1937-1945), puis la Révolution culturelle (1966-1976) n'avaient pas arrangé les choses. La plupart de ses artistes avaient été gardés sous le boisseau. Dès lors, ils ne pouvaient développer qu'une expression plastique médiocre à la solde du Parti communiste chinois (PCC) qui imposait son cadre idéologique et une esthétique, "le réalisme socialiste".
Les codes de la peinture chinoise traditionnelle n'avaient qu'à deux reprises dans son histoire été bousculés par l'occident : - Une première fois de manière limitée dans le temps et dans l'espace grâce à un prêtre franciscain, Giovanni Battista Lucarelli da Pesaro (1540-1604) qui, lorsqu'il débarqua à Hangzhou avait dans ses bagages quelques peintures religieuses à l'huile destinées aux autels des lieux de culte qu'il avait pour mission d'implanter. Peu à peu des peintures à l'huile vinrent orner les autels des églises ou les chinois découvraient une expression réaliste reposant sur les règles de perspective et de clair-obscur. A sa suite, d'autres religieux, notamment des jésuites, "s'infiltrèrent" à la cour des empereurs Ming et influencèrent les peintres proches du Palais. - Une seconde fois et de manière beaucoup moins confidentielle, une véritable introduction de l'occidentalisme en Chine eut lieu après la Grande guerre sous l'impulsion du gouvernement nationaliste Chinois, le Kuomintang. Ce nouvel intérêt de la Chine pour le monde occidental était notamment dû à son ministre de l'éducation, CAI Yuanpei (1878-1940) qui, dans le cadre d'accords bilatéraux avec la France, avait négocié l'envoi d'étudiants chinois à Lyon et à Paris afin de favoriser le dialogue de la Chine avec l'Europe et, en ce qui concerne les étudiants en art, pour qu'ils apprennent une "vertu" que l'art traditionnel chinois semblait ignorer, le réalisme. L'art chinois était en effet peu enclin à représenter scientifiquement un objet, tel qu'il existait : une carte militaire, un canon. Il était subjectif, symbolique et intuitif. Quatre peintres formés dans les années 1920 à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris – LIN Fengmian (1900-1991), XU Beihong (1895-1953), LIU Haisu (1896-1994) et YAN Wenliang (18931988) –, dès leur retour en Chine avaient créé, sur le modèle français, les premières écoles des beaux-arts. Elles avaient des sections de peinture chinoise traditionnelle et des sections de peinture à l'huile. La peinture occidentale restait en effet pour le Kuomintang et malgré le développement des avant-gardes en occident, le produit objectif d'une observation directe combinée avec une connaissance empirique. Il fallait apprendre à voir autrement. La confrontation des deux univers esthétiques entraîna assez rapidement une forme d'acculturation que d'un point de vue occidental on analyse en termes de rupture. Néanmoins, Lin Fengmian, notamment, tout d'abord à l'Ecole des Beaux-Arts de Pékin puis à l'Académie des Beaux-Arts de Hangzhou (2), avait exploré la fusion de ces deux systèmes artistiques afin de permettre une création nouvelle sans pourtant que soient perdues les spécificités de l'art chinois. Ces deux périodes ont marqué une rupture avec l'art traditionnel chinois qui aujourd'hui n'est plus regardé comme une expression endogène mais exogène proprement internationale. L'exposition "Chine : Une nouvelle génération d'artistes", présentée par le Centre Pompidou en association avec le West Bund Museum de Shanghai se place sous l'égide du caractère chinois (mù) qui signifie l'œil. Elle évoque le regard et sa capacité à organiser la réalité. Élément essentiel de l'écriture chinoise, ce caractère est employé pour la construction de nombreux autres idéogrammes. L'accent est mis sur la création de la dernière décennie et les changements survenus durant cette période dans la société chinoise. Vingt ans après "Alors la Chine" plutôt que de présenter un florilège de la peinture chinoise d'aujourd'hui, réunit les œuvres de vingt et un artiste, et se penche plus particulièrement sur la relation de la Chine actuelle, de ses artistes de la génération post-80, avec le monde. Elle est l'image subjective de sa réalité sociale dans un contexte mondial éminemment complexe où les questions sociales, de l'environnement et du développement numérique sont omniprésentes. La génération des artistes présentés a grandi pendant la période de l'ouverture et des réformes de la Chine, caractérisée, entre autres, par un développement des échanges internationaux et une forte croissance économique. Associée à des évolutions technologiques et sociales majeures, elle a propulsé la Chine au rang de deuxième économie mondiale et profondément modifié son rapport à elle-même et au monde. Les œuvres sélectionnés recouvrent un large spectre de pratiques - vidéo, peinture, sculpture, installation, photographie ou nouveaux médias -. Dans la situation mondiale post-COVID, ces œuvres ont eu peu de visibilité à l'extérieur du pays. Au sein de cette diversité foisonnante, l'exposition dégage quelques thématiques saillantes dans les pratiques de ces artistes. Les questions liées à la participation de la Chine au monde, qu'il s'agisse de réflexions sur la mondialisation ou les défis partagés à l'échelle mondiale, particulièrement la crise environnementale, se font jour dans les œuvres de nombreux artistes. Les grandes évolutions de la société chinoise, en particulier les transformations des modes de vie dans des agglomérations urbaines de plus en plus étendues et le paradigme mouvant de la régulation des différents flux et activités, fournissent également un matériau fertile à cette génération de créateurs. Le rapport à une tradition culturelle et esthétique d'une très grande richesse structure par ailleurs les pratiques de certains artistes, qui s'emploient à les mettre en perspective et à les renouveler dans un contexte contemporain. Enfin, l'exposition fait la part belle au champ des nouveaux médias, particulièrement dynamiques dans un pays marqué par une numérisation rapide, massive et intense de l'économie comme des usages sociaux. Un dialogue entre tradition et modernité L'œuvre de HU Xiaoyuan, par exemple, propose un jeu subtil entre matérialité et illusion. Utilisant du bois, de la soie et de la peinture, elle crée un trompe-l'œil où les détails révèlent une maîtrise technique rare et un hommage à la tradition chinoise dans une approche résolument contemporaine. De son côté, QIU Xiaofei explore les liens historiques entre sa région natale, proche de la Russie, et l'URSS, en se basant sur son propre héritage familial. YU Ji, sculptrice reconnue sur la scène internationale, s'illustre avec des œuvres inspirées de plantes locales, magnifiées par des matériaux inattendus comme le ciment et le savon, tandis que l'artiste numérique aaajiao (XU Wenkai) interroge les effets de la technologie sur les comportements sociaux en Chine, l'un des pays les plus "digitalisés" au monde. Enfin, WANG Yang traduit à travers des toiles et des installations un univers d'irisations numériques, évoquant le quotidien connecté de la Chine contemporaine. Des thèmes ancrés dans la réalité sociale et environnementale Les artistes de cette nouvelle génération sont conscients des défis de leur temps. La mondialisation, la pollution et les transformations urbaines se reflètent dans leurs œuvres, offrant une vision percutante et actuelle de la société chinoise. Dans une installation centrale intitulée The Doubtful Site, Nabuqi joue avec les limites entre réalité et fiction, public et privé, symbolisant une société en transition permanente. HAO Liang, autre figure incontournable de l'exposition, s'inspire de la tradition poétique chinoise Ganyu pour capturer la fragilité de l'instant, tout en intégrant des éléments iconographiques modernes. Une exposition marquée par la créativité et l'innovation L'exposition témoigne également d'une approche audacieuse des nouveaux médias, avec des œuvres en 3D, des installations numériques et des performances interactives. Les thèmes de l'identité, des systèmes sociaux et de la tradition y sont abordés de manière contemporaine, offrant un aperçu des futurs possibles de l'art chinois. Avec "Chine : Une nouvelle génération d'artistes", le Centre Pompidou confirme son rôle de passeur culturel et permet au public de découvrir une scène artistique chinoise en pleine effervescence, ancrée dans sa réalité mais ouverte au monde. Une exposition à découvrir jusqu'au 3 février 2025, qui redéfinit les contours de l'art contemporain chinois et pose un regard acéré sur une société en constante évolution. Philippe Albou
Paris, novembre 2024
Chine : Une nouvelle génération d'artistes - China A New Generation of Artists.
Sous la direction de Philippe Bettinelli, Paul Friche et Youyou GU. [Exposition Paris, Centre Pompidou, 9 octobre 2024 - 3 février 2025]. Catalogue Editions du Centre Pompidou, Paris - 2024 - 120 p. www.centrepompidou.fr
Notes :
1 : L'exposition Paris-Pékin à Espace Cardin du 5 au 28 octobre 2002 s'était déjà fait l'écho de l'intérêt que portait l'occident à la peinture chinoise de l'époque. 2 : Il les a toutes les deux fondées. Chine : Une nouvelle génération d'artistes, sous la direction de Philippe Bettinelli, Paul Friche et Youyou GU, [Exposition Paris, Centre Pompidou, 9 octobre 2024-3 février 2025], Editions du Centre Pompidou, Paris, 2024, 120 pages Albou Philippepeinture: L'introduction de l'occidentalisme en Chine autour des années 1920, Thèse de doctorat en esthétique, sciences et techniques des arts, 586 pages Les autres artistes exposés sont : Alice CHEN, CHEN Fei, CHEN Wei, CHU Yun, CUI Jie, HU Xiaoyuan, LI Ming, LIU Chuang, LU Pingyuan, LU Yang, MIAO Ying, SHEN Xin, SUN Xun, WAN Yang, YAO Qingmei, ZHANG Ding. Bibliographie sommaire : Paris-Pékin, Catalogue de [Exposition Espace Cardin 5-28 octobre 2002], Ed. Asia art archive, Paris 2002, 287 pages |