Blaise PatrixUn artiste, du village à la cité
Blaise Patrix
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Blaise Patrix |
Blaise Patrix est un artiste engagé. Enonçant ce jugement, on dit beaucoup et peu à la fois. Car il faut s'entendre sur ce qu'est un
engagement pour un artiste. Pour l'opinion courante, l'artiste engagé est celui qui met son art au service d'une cause extérieure à
celui-ci, qu'elle soit morale, idéologique ou politique. Le résultat sur l'œuvre est variable. Avec Guernica, Picasso s'engage du
côté des républicains espagnoles et produit un chef d'œuvre, mais combien de peintures ou de sculptures médiocres ont été produites
par les artistes réalistes socialistes en URSS et ailleurs, au service de la révolution, ou plus modestement du prolétariat. Mais
finalement, le premier engagement que prend chaque personne n'est-il pas, à un moment de sa vie, de s'engager sur un chemin plutôt
que sur un autre. Blaise Patrix, lui, a pris un premier engagement, il a décidé d'être un artiste et par là un créateur, à la fois
d'œuvres et de sa propre vie. Il l'a fait, dans une sorte de continuité avec son père, peintre reconnu, mais aussi dans la rupture
qu'a constituée son départ pour l'Afrique. Sa rencontre avec le continent africain l'a alors définitivement constitué comme artiste
et comme citoyen du monde.
Peu à peu, au contact des réalités africaines, économiques, sociales et culturelles, l'artiste va intégrer aux valeurs occidentales ethniques et esthétiques, souvent abstraites, des valeurs autochtones, totalement en osmose avec la réalité vivante du village ou du quartier urbain. Le palabre autour de l'arbre, mais surtout la danse en ronde, expriment de façon concrète des valeurs telles que le partage, la dignité de la personne, la reconnaissance dans ces deux acceptations : reconnaître et se sentir reconnu. Comment ces valeurs vont elles se réaliser dans le geste artistique ? Quelles formes plastiques vont elles prendre chez Blaise Patrix ? C'est là la question essentielle. Dans les premières œuvres, les portraits de femmes, le rapport à l'Afrique n'est pas comme chez les cubistes lié à la forme extérieure des œuvres ethniques, ou comme chez les surréalistes à leur fonction magique, les deux dans une optique finalement coloniale qui consiste à prendre quelques ressources d'inspiration au pays donné. Blaise ici assume totalement l'héritage esthétique occidental, mais le met au service d'une volonté : que le portrait renvoie une image valorisante au modèle. Ainsi, les peintures d'un format assez ample présentent les visages et les corps émergeant d'un drapé de tissus colorés qui leur donnent la stature et la noblesse de la statuaire grecque ou des portraits de la Renaissance. Dans les peintures évoquant des paysages avec des personnages, c'est la matière même de la nature africaine, terre, eau, ciel et lumière, qui devient quasiment le médium expressif. Là encore, l'hommage à l'Afrique s'institue dans un véritable dialogue et une symbiose entre tradition occidentale du paysage et travail des matériaux bruts tels qu'ils apparaissent dans les objets de la vie courante ou les masques rituels. "Symbiose" est d'ailleurs le titre de toute une série d'œuvres qui tendant vers l'abstraction ou plutôt vers une représentation allusive d'une réalité métisse. Mais, c'est au retour en Europe ou l'artiste va faire germer et croître les graines à la fois éthiques et esthétiques rapportées d'Afrique. Le concept "d'Art Sociable" développé alors s'inscrit totalement dans les valeurs de dignité, de reconnaissance, de partage et d'élan vital dans lesquels l'artiste a baigné en Afrique. Un des dispositifs concrèt de cet "Art social" le plus éclairant est la peinture collective en cercle : disposé à ‘horizontale, sur des tréteaux un grand "tondo", autour duquel des citoyens ordinaires, adultes ou enfants, se mettent à y créer une œuvre collective. Blaise Patrix, l'initiateur du projet, n'intervient jamais directement dans le processus de création. Simplement, il y met fin, à un moment et s'emparant de l'œuvre produite, utilise tous les moyens pour la rendre visible au plus grand nombre, en accrochant l'original, en le reproduisant, en le couplant avec des portraits réalisés par lui-même. Ainsi, l'ensemble des participants se reconnaissent-ils dans une œuvre qui leur apporte en retour une reconnaissance sociale et une dignité de créateur à part entière, loin du monde élitiste et spéculatif de l'art contemporain. Le processus mélant habitants d'un quartier et artiste professionnel, pourrait trouver un équivalent dans le couple indissociable que forme, en politique, la démocratie participative et la démocratie représentative, l'artiste à l'initiative de l'art sociable assurant, à un moment donné, le rôle de représentant de l'ensemble des "créateurs" amateurs, en assurant la mise en scène et la publicité (rendant public) de l'œuvre. L'art, cessant d'être strictement individuel, devient civique et politique au sens premier des termes. Blaise Patrix donne ici la signification profonde de son engagement d'artiste, au service de la construction du lien social. Mais on ne peut parler d'engagement dans le travail de Blaise Patrix, sans évoquer l'engagement physique qu'il met dans l'acte de peindre, tout nourri d'une gestuelle fougueuse et d'une gourmandise rabelaisienne pour la pâte picturale. Symbole de cet engagement total dans l'art, le rire tonitruant et tellurique qui, de façon intempestive, tel un courant d'air frais, ponctue le discours de l'artiste parlant de son travail personnel ou de ses projets d'Art sociable. Alain Le Metayer
Bruxelles, février 2021 |