Blaise Patrixpar Blaise Patrix, l'artiste du partage
Blaise Patrix "Sortir du bois"
Je suis peintre et j'écris comme je peins, c'est-à-dire à la dérive. Quelles que soient les mille et une manières de peindre, à force de scruter, regarder, voir, contempler, détailler, surprendre, vouloir, essayer, essayer et encore essayer, et puis céder en toute liberté à l'appel organique du songe et de la matière, ou bien débusquer au fin fond des rêves d'hallucinantes formes, des désordres haletants, les farces rigolotes et dramatiques de Jérôme Bosch ou de Brueghel, contempler des migrations infinies, ou bien encore peaufiner la vitalité d'un regard jusqu'à représenter la lumière qui pénètre de côté et fait briller un globe oculaire de l'intérieur comme le ferait Vermeer ou Caravage, observer avec Goya le ton juste de la réfraction du sol gorgé de soleil jusque sur le visage d'un jeune femme à l'abri d'une ombrelle, ou plus tard au soir de sa vie, éprouver la rageuse consternation d'un Saturne dévorant son enfant, aimer l'humain du regard gourmand de Franz Hals, tendre et narquois de Rembrandt, sophistiqué de Fantin-Latour, ou bien encore traquer la vibration qui émane des choses tels Morandi, Chardin, Cézanne, Van Gogh, Braque, peindre c'est pour moi aussi accepter la dérive, dépasser ce que l'on sait, c'est atteindre autant que faire se peut ce qu'on ne savait pas qu'on savait déjà, partir en reconnaissance, apprendre à se reconnaître. Mais c'est aussi rencontrer l'autre, se voir par ses yeux et partager avec lui l'aspiration à la justesse.
Il m'a été donné un beau jour, alors que nous nous engagions dans la brèche qui s'ouvre entre les montagnes vers la Silicone Valley quand on vient de Los Angeles, d'avoir le plaisir pour quelques instants de piloter un petit avion. La sensibilité de l'appareil au moindre de mes mouvements, l'angle à tenir afin de garder le cap, le glissement sur les courants d'air immenses qui s'engouffrent dans ce détroit après avoir fait tourner les centaines d'éoliennes que j'apercevais tout en bas, les assauts du vent à faire trembler ailes et carlingue, la tension, la concentration, la responsabilité, mais aussi l'émerveillement, tout cela m'évoque un tant soit peu la chance de peindre. Mais alors qu'il me fallait alors garder le cap, l'acte de peindre commence, me semble-t-il, lorsque la dérive devient plus forte que la raison. L'intention fait place à l'attention et touche au cœur. L'idée s'efface devant le signe. Rien d'autre ne peut se faire alors que d'exprimer et éprouver de la reconnaissance. Quelles que soient les opinions de l'auteur et du spectateur, aucun argument ne tient face à l'inexplicable magie de peindre ou d'observer une œuvre peinte, auteur et spectateur (de même auteure, spectatrice) partagent ensemble la faculté de se reconnaitre sans pour autant voir la même chose. J'ai vu des ennemis, devenus incapables d'échanger leurs points de vue, se sentir touchés par une même œuvre. "Le peintre se dépeint quand il peint et sa main délivre son âme" avait signé Jacques Lagrange au fusain sur le mur de notre salon dans la maison de mon enfance. Par je ne sais quelle magie, l'évidence intime impose que cela doit être comme ceci et pas comme cela, l'étau se resserre, la perfection l'exige et puis arrive l'incident, le sandwich de Fleming sous la lentille du microscope qui conduit à la découverte de la pénicilline. L'ensemble des découvertes depuis la nuit des temps ne sont-elles pas le fruit de l'audace et de la dérive ? L'incessant ressac entre la trace et l'âme. Le décalage entre l'espoir et le but réellement atteint, la volonté et la contemplation, la curiosité et l'instinct de survie, sa charge de doute et d'excitation, l'étonnement, mènent à cette évidence : les hasards sont faits pour être heureux. "Transpercer la réalité" disait Picasso, pas question de laisser la terreur nous tétaniser, osons, que la peur soit notre clairvoyance et notre moteur. Les mots sont plus aisément capables d'ennui et même - encore plus cruellement - d'emmurement : combien de fois n'ont-ils pas dressé les parties l'une contre l'autre ? Que leurs murmures et leurs couleurs m'en préservent. Je fais violence en les sollicitant à mon caractère de normand taiseux. J'dis çà j'dis rien, j'écris ce que je peux, je n'en pense pas moins. A vous de voir. |
Sono un pittore e scrivo come dipingo, cioè alla deriva. Qualunque siano i mille e un modo di dipingere, a forza di scrutare, guardare, contemplare, dettagliare, sorprendere, volere, provare, riprovare e riprovare, per poi abbandonarsi liberamente al richiamo organico della materia e del sogno , o dissotterrare forme allucinatorie dal profondo dei sogni, disordine senza fiato, le farse buffe e drammatiche di Jerome Bosch o Brueghel, contemplando le migrazioni infinite, o affinando la vitalità di uno sguardo fino a rappresentare la luce che penetra di lato e fa brillare un bulbo oculare dall'interno, come farebbero Vermeer o Caravaggio. Osservare con Goya il giusto tono di rifrazione dal suolo inondato di sole sul viso di una giovane donna riparata da un ombrello, o più tardi al tramonto della sua vita sentire lo sgomento furioso di un Saturno che divora il suo bambino, amando l'umano nello sguardo avido di Franz Hals, in quello tenero e sarcastico di Rembrandt, in quello sofisticato di Fantin Latour. E poi catturare le vibrazioni che emanano dagli oggetti come hanno fatto Morandi, Chardin, Cézanne, Van Gogh, Braque. Anche per me dipingere significa accettare di andare alla deriva, di andare oltre ciò che conosciamo, di andare il più lontano possibile verso ciò che non sapevamo di conoscere già, di intraprendere un viaggio di scoperta, di imparare a riconoscerci. Ma significa anche incontrare l'altro, vedersi attraverso i suoi occhi e condividere con lui l'aspirazione ad essere nel giusto.
Un bel giorno, venendo da Los Angeles e imboccando il varco tra le montagne verso la Silicon Valley, ho avuto il piacere di pilotare per qualche istante un piccolo aereo. La sensibilità dell'apparecchio ai miei minimi movimenti, l'angolazione che dovevo mantenere per mantenere la rotta, il planare sulle immense correnti d'aria che si precipitano in questo stretto dopo aver fatto ruotare centinaia di turbine eoliche che intravvedevo laggiu'. Ma mentre allora dovevo mantenere la rotta, mi sembra que l'atto di dipingere inizia quando la deriva diventa più forte della ragione. L'intenzione lascia il posto all'attenzione e arriva al cuore.L'idea lascia il posto al segno.L'unica cosa che si può fare allora è esprimere e provare gratitudine. Qualunque sia l'opinione del pittore e dello spettatore, nessun argomento può resistere all'inspiegabile magia della pittura o dell'osservazione di un'opera dipinta. Il pittore e lo spettatore hanno in comune la capacità di riconoscersi senza vedere la stessa cosa. "Il pittore ritrae se stesso quando dipinge e la sua mano gli consegna la sua anima", ha firmato Jacques Lagrange a carboncino sulla parete del nostro salotto nella casa della mia infanzia. Per qualche magia, l'intima evidenza impone che deve essere così e non così, la morsa si stringe, la perfezione lo richiede e poi arriva l'incidente, il panino di Fleming sotto la lente del microscopio che porta alla scoperta della penicillina. Tutte le scoperte, dalla notte dei tempi, non sono forse frutto di audacia e di deriva? L'incessante risacca tra traccia e anima. Lo scarto tra la speranza e la meta effettivamente raggiunta, la volontà e la contemplazione, la curiosità e l'istinto di sopravvivenza, il suo carico di dubbi e di eccitazione, lo stupore, portano tutti all'ovvia conclusione: le casualità sono fatte per esere felici. "Non lasciamo che il terrore ci paralizzi, osiamo lasciare che la paura sia la nostra intuizione e la nostra forza motrice.
Blaise Patrix
(1953/2023) Bruxelles, 2023 |