Berlin, l'effacement des tracesphotographies de Jean-Claude Mouton
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I stamp your passport, Jean-Claude Mouton
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Berlin no man's land
En 1989, lorsque le Mur est tombé, j'habitais Berlin. J'étais là-bas photographe boursier de l'Office Franco-Allemand pour la Jeunesse. Comme tout le monde, je suis allé là où ça se passait et j'ai fait des photos. J'ai été frappé par le fait que c'était un événement extrêmement médiatisé : des chaînes de télé du monde entier avaient installé leurs antennes paraboliques devant la Porte de Brandebourg pour y faire des directs, des photographes d'agences avaient afflué de partout, et il y avait aussi tous les photographes amateurs. Les appareils photo numériques n'existaient pas encore, mais les appareils accessibles étaient nombreux : réflex, compact, instamatic, jetable… Tout le monde photographiait, et même les policiers se tiraient le portrait devant le Mur. J'ai donc fait aussi des photos de ce jours de novembre comme celle-ci en hommage à Doisneau. C'était l'époque où on voyait son Baiser de l'Hôtel de Ville partout. Le démantèlement du Mur a commencé, et j'en ai photographié les restes. Le projet est rapidement devenu un travail sur la trace. Il m'a semblé intéressant de mettre en rapport la disparition du Mur avec la fragilité de la photographie, telle qu'elle est annoncée par Kodak sur les boîtes de film, un avertissement très poétique : Les colorants peuvent se modifier à la longue. Les photographies de traces peuvent se réduire à des traces de photographies. Et de là, la photographie est-elle à même de rendre compte de ces lieux et du processus de disparition ? La question qui se pose est en fait celle du mémorial. Quelle forme lui donner ? Un mémorial ne sécrète-t-il pas lui même une forme d'oubli ? Dans la logique d'une exploration de l'inscription photographique, je bousculais volontiers le dispositif photographique pour lui faire rendre des images inattendues, mais pas moins traces de ce que je voyais. J'ai donc pratiqué souvent la surexposition, j'ai utilisé des lots de films périmés. Et pour ce travail, j'ai opté pour un Pentacon 6, un appareil professionnel fabriqué en RDA. La muséification du Mur Bernauer Strasse : reconstitution du dispositif frontalier, avec un promontoire pour voir le no man's land. Cela rappelle les observatoires qui étaient installés le long du Mur, côté Ouest, pour voir de l'autre côté. East Side Gallery : un vrai-faux mur peint en 1990 dans une opération de marketing. C'est aujourd'hui une attraction pour les touristes, une sorte de Disneylandisation du Mur comme le décrit Alexandra Prado Coelho dans une série d'articles sur Berlin parus cet été dans Publico à Lisbonne. Niederkirchnerstrasse : le Mur figé dans son état de 1990, conservé à l'état de ruine. Muséification veut dire aussi interdiction d'y toucher. On a vu apparaître dans ce sens des panneaux plus ou moins officiels. Avant 89, le Mur était couvert de graffitis côté Ouest, en 89-90, partout, et ensuite, il est devenu un monument à commercialiser en gros ou en détail. Par ailleurs, le tourisme a conduit à recycler les anciens tampons des gardes-frontières. C'est l'occasion pour moi de proposer une autre sorte de mémorial, en parallèle à la série de photos de l'effacement. J'ai tiré une série de graffitis glanés dans la zone du no man's land sous forme de tampons qui sont à la disposition du public. C'est une manière de remettre en mouvement ces inscriptions spontanées, et de générer de nouvelles traces qui sont disséminées. Réflexions de
Jean-Claude Mouton Berlin, 2009
"I stamp your passport", Jean-Claude Mouton
www.jeanclaudemouton.eu, jusqu'au 12 decembre 2009, galerie La Ruelle, 44 rue de Flandre, 1000 Bruxelles, www.galerielaruelle.com - info@galerielaruelle.com - tél. : +32 2 511 74 00 |