Georg Baselitz, La rétrospectiveCentre Pompidou
Georg Baselitz
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Baselitz
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Baselitz en 1984
Baselitz en 2021 |
"Je suis né dans un ordre détruit, un paysage détruit, un peuple détruit, une société détruite.
Et je n’ai pas voulu réinstaurer un ordre ; j’avais vu assez de soi-disant ordre. J’ai été contraint de tout remettre en question, d’être "naif", de repartir de zéro. Je n’ai ni la sensibilité ni la culture ni la philosophie des maniéristes italiens, mais je suis maniériste au sens où je déforme les choses. Je suis brutal, naïf et gothique." Georg Baselitz, entretien avec D. Kuspit, "Goth to Dance" (1) |
L'actualité de Georg Baselitz n'a pas cessé d'être présente dans toute l'Europe et même en Asie. Tout dernièrement, la galerie Léo Arte a présenté des grandes peintures et une série de gravures des années 1970 de Baselitz, issues de la collection Christian Liaigre, de mai à juillet (2021). Cet ensemble est issu d'une série des sujets renversés de têtes et figures : Ein Schlüsselloch, Die Zeit läuft davon et Schwarzbraum ist die Haselnuß des années 2016-2019. Il y avait notamment deux grands tableaux (303 x 176 cm et 303 x 320 cm), aux teintes or et terreuses, bien plus saisissants et impressionnants que ceux présentés au Centre Pompidou, à la fin du parcours. Ils donnaient la sensation d'être traversé par un flux convulsif. Nous en avons rendu compte dans ces mêmes pages.
La rétrospective due au commissariat de Bernard Blistène (qui finit en beauté sa direction de Beaubourg) est d'une certaine manière éclatante par son choix de tableaux, de sculptures historiques et des dessins et gravures (on aurait pu avoir dans ce choix plus de dessins, etc). Quelques six décennies de création sont abordées selon un parcours chronologique qui met en exergue les périodes les plus marquantes du travail de l'artiste. De ses premières peintures au manifeste Pandémonium du début des années 1960 à la série des Héros, des Tableaux fracturés aux motifs renversés dès 1969. Né en 1938, Georg Baselitz, dans le village de Großbaselitz (renommé Deutschbaselitz en 1948) d'où il tire son pseudonyme dès 1961, de son vrai nom Hans-Georg Kern. Il est marqué par son enfance en Saxe pendant la période nazie et par l'observation des atrocités de la guerre. À partir de 1949, il grandit sous le régime autoritaire de la République démocratique allemande qui interdit de réaliser des peintures abstraites qui seraient l'expression du "déclin capitaliste." En octobre 1961, ses lectures l'incitent l'artiste enragé à écrire avec son ami Eugen Schönebeck, le Manifeste pandémonique [Pandämonisches Manifest] dont le titre renvoie au palais de Satan nommé Pandæmonium évoqué par John Milton dans son poème épique, Paradise Lost [Le Paradis perdu] (1667), lieu imaginaire choisi pour faire écho à l'aspect post-apocalyptique de l'Allemagne en 1945. Michael Werner l'a exposé la première fois dans sa galerie à Berlin, en 1963, où il présente les tableaux Die große Nacht im Eimer [La Grande Nuit foutue] (1962-1963) et Der nackte Mann [L'Homme nu] (1962), tous les deux confisqués pour "leur caractère pornographique" par les autorités de Berlin-Ouest. Plus tard, il fait partie d'une exposition manifeste : "Warum das Bild Die großen Freunde eingutes Bild ist!" (Pourquoi le tableau Les Grands Amis est un excellent tableau !"), chez Springer à Berlin, en 1966. Son univers pictural s'appuie sur les bouleversements de la grande Histoire. On a pu le classer dans le néo-expressionisme aux côtés de Immendorff, Markus Lüpertz (avec lequel il exposera, en 1977, à la Documenta 6, à Cassel), et Polke. On a pu voir à la Bibliothèque de Paris une rétrospective de ses œuvres graphiques et la Collection nationale publique de dessins et d'estampes de Munich. En 2012, le Musée d'art moderne de la Ville de Paris accueille pour la première fois une rétrospective de son travail de sculpteur. Baselitz résiste activement face aux idéologies ambiantes de l'Est, il canalise d'une certaine manière sa colère en regard de la situation politique dans son pays divisé. Il s'intéresse aux artistes au destin non conformiste, tels Munch, Antonin Artaud, Lautréamont, Mikhaïl Aleksandrovitch Vroubel, ainsi qu'aux œuvres d'artistes atteints de maladie mentale, notamment celles étudiées par le médecin et théoricien Hans Prinzhorn dont la collection avait été incluse par les nazis dans l'exposition d'art dégénéré en 1937. C'est dans l'ouvrage publié par Prinzhorn, Expressions de la folie, publié en 1922, que Baselitz découvre un dessin qui lui inspire son autoportrait G.- Kopf [Tête G.] (1960-1961), présenté à l'entrée de l'exposition, à côté de l'œuvre G. Antonin (1962) peinte en hommage à Artaud. Il sera très sensible plus tard au geste de Wilhem de Kooning quand il peint ses fameuses : Women. Philippe Sollers avait ce mot quant aux fameuses Women : "Je me suis rendu compte que De Kooning, que j'allais voir souvent aux Etats Unis, dans les années 70, dans son atelier à East Hampton, était un peintre qu'il fallait défendre parce que, déjà, il passait pour quelqu'un qui n'aurait pas dû faire ses Women ! Le marché de l'art américain le trouvait trop scandaleux par ses attitudes dans la vie, etc". Extrait d'un entretien que j'avais réalisé pour Beaux Arts Magazine, en 1997. Plus tard, il réalisera un hommage à Gustave Courbet avec le tableau B.j.M.C. – Bonjour Monsieur Courbet (1965). Dans certaines peintures des années 1967, les Images fracturées, les personnages sont divisés et apparaissent avec des chiens et des arbres – Dans B für Larry [B pour Larry] (1967), l'arbre est le symbole du mythe de la transcendance de l'âme allemande. Mais ici les corps volent en éclats, une manière de "détruire" les formes de l'art antique remis à l'honneur par le régime nazi. Ce sont les nouvelles recherches qui conduisent Baselitz à la création de Der Mann am Baum [L'Homme à l'arbre] où le motif est partiellement inversé. Ces motifs inversés deviennent par la suite le style de l'artiste pour une grande part de ses nouvelles créations. "Quand on veut cesser de passer son temps à inventer de nouveaux motifs et continuer malgré tout de peindre des tableaux, le retournement du motif est la solution la plus plausible. Cette hiérarchie dans laquelle le ciel se trouve en haut et la terre en bas n'est de toute façon qu'une convention à laquelle on est certes habitué, mais qu'on n'est pas du tout tenu de croire" (1989). Dans les années 1998 et 2005, Georg Baselitz se remémore des images de sa jeunesse est-allemande dans une nouvelle série intitulée : "Tableaux russes" (Russenbilder). Dès 2005, Georg Baselitz entreprend le cycle "Remix" pour ancrer de manière encore plus précise un dialogue pictural avec des artistes qui l'ont inspiré, ou bien avec ses propres œuvres, en commençant par Die große Nacht im Eimer (Remix) [La Grande Nuit foutue (Remix)] (2005), dans laquelle un portrait d'Adolf Hitler devient reconnaissable ou encore Die Mädchen von Olmo (Remix) [Les Filles d'Olmo (Remix)] (2006) : "Quand on regarde l'histoire, que voit-on ? Beaucoup d'artistes ont peint eux aussi des remix de leurs œuvres, Munch je ne sais combien de fois, Picasso dans sa dernière période, Warhol alors qu'il était encore jeune. Pourquoi pas moi ?" (in Le Monde, 2009). En 2014, il commence une nouvelle série de peintures qui apparait comme sa nouvelle "forme stylistique" importante dans son travail en cours. Ce sont les grands autoportraits intitulés, non sans provocation Avignon, en référence à l'œuvre tardive de Picasso exposée successivement en 1970 et 1973 au Palais des papes en Avignon, qui fit scandale. À travers des autoportraits ou des doubles portraits avec sa femme, Georg Baselitz continue sa nouvelle réflexion picturale sur "l'impermanence" et le changement physique liés à l'âge, au Temps et à la mémoire. Il s'explique ainsi : "Le champ thématique de mon travail s'est fortement réduit au cours des dernières années. L'important est que je me suis de plus en plus isolé dans ma peinture. Je me suis de plus en plus replongé en moi-même pour en tirer tout ce que je fais. Je vis avec d'anciens catalogues, avec de vieilles photos et ne fais rien d'autre. Je peins entre moi et moi-même et sur nous deux. Voilà. Et de temps en temps, quelqu'un comme Otto Dix, que j'estime beaucoup,vient se joindre à nous." (2017, communiqué de presse de la galerie Thaddaeus Ropac pour l'exposition "Descente"). Artiste profondément enraciné dans l'histoire européenne et mondiale, il a élaboré un style qui transforme les formes figuratives consacrées de la représentation. Son langage iconographique renouvelle l'approche du dessin et la perception des formes. Baselitz a inauguré ces nouvelles créations picturales depuis plus de deux décennies. Parfois de nombreux éléments autobiographiques transparaissent dans sa peinture, tels les hommages à sa femme, Elke. Les peintures de corps, évocation de formes en trois dimensions, en mouvement apparaissent comme renversés, catapultés dans le vide, résultant peut-être d'un "accident". Baselitz, artiste d'une grande culture, et collectionneur avisé, mentionne fréquemment que le renversement de la figure lui a donné "la liberté d'affronter réellement les problèmes picturaux." Il s'approprie divers thèmes de la culture non occidentale et de la culture populaire, qu'il transforme par son style, tout en mixant les nombreuses références à la tradition classique de la peinture, au maniérisme italien, en passant par la peinture du Nord jusqu'au modernisme. Je tiens encore à citer Philippe Sollers : "Au moment où deux ou trois personnes qui s'intéressent à ce qu'on va appeler le cubisme, il ne s'agit pas de faire de l'art contemporain, il s'agit de faire une percée de vérité dans le kitch de l'époque. C'est la vérité contre le faux." |
Georg Baselitz's work has been exhibited throughout Europe and even in Asia. Most recently, the Leo Arte Gallery presented large paintings and a series of prints from the 1970s by Baselitz from the Christian Liaigre collection from May to July (2021). This set was part of a series of upside-down subjects of heads and figures: Ein Schlüsselloch, Die Zeit läuft davon and Schwarzbraum ist die Haselnuß from the years 2016-2019. In particular, there were two large paintings (303 x 176 cm and 303 x 320 cm), with gold and earth tones, which were much more striking and impressive than those presented at the Centre Pompidou at the end of the tour. They gave the sensation of being traversed by a convulsive flow. We reported on this in these very pages.
The retrospective curated by Bernard Blistène (who is finishing his tenure at Beaubourg in style) is in some ways brilliant in its choice of paintings, historical sculptures and drawings and engravings (there could have been more drawings, etc.). Some six decades of creation are approached according to a chronological path that highlights the most significant periods of the artist's work. From his first paintings to the Pandemonium manifesto of the early 1960s to the series of Heroes, Fractured Paintings with reversed motifs from 1969. Georg Baselitz was born in 1938 in the village of Großbaselitz (renamed Deutschbaselitz in 1948), from which he derived his pseudonym in 1961, from his real name Hans-Georg Kern. His childhood in Saxony during the Nazi period and his observation of the atrocities of the war left their mark on him. From 1949 onwards, he grew up under the authoritarian regime of the German Democratic Republic, which forbade him to produce abstract paintings as an expression of "capitalist decline". In October 1961, his readings prompted the enraged artist to write, together with his friend Eugen Schönebeck, the Pandemonic Manifesto [Pandämonisches Manifest], the title of which refers to the palace of Satan called Pandæmonium evoked by John Milton in his epic poem, Paradise Lost (1667), an imaginary place chosen to echo the post-apocalyptic appearance of Germany in 1945. Michael Werner first exhibited it in his gallery in Berlin in 1963, where he presented the paintings Die große Nacht im Eimer (1962-1963) and Der nackte Mann (1962), both of which were confiscated by the West Berlin authorities for being 'pornographic'. Later, it was included in a manifesto exhibition: "Warum das Bild Die großen Freunde eingutes Bild ist! (Why is the painting The Great Friends an excellent picture!) at Springer in Berlin in 1966. His pictorial universe is based on the upheavals of history. He has been classified as a neo-expressionist alongside Immendorff, Markus Lüpertz (with whom he exhibited at Documenta 6 in Kassel in 1977), and Polke. A retrospective of his graphic works has been shown at the Bibliothèque de Paris and the National Public Collection of Drawings and Prints in Munich. In 2012, the Musée d'art moderne de la Ville de Paris hosted the first retrospective of his work as a sculptor. Baselitz actively resisted the prevailing ideologies of the East and in a way channelled his anger at the political situation in his divided country. He was interested in artists with non-conformist fates, such as Munch, Antonin Artaud, Lautréamont, Mikhail Aleksandrovich Vroubel, as well as in the works of mentally ill artists, especially those studied by the doctor and theoretician Hans Prinzhorn, whose collection had been included by the Nazis in the exhibition of degenerate art in 1937. It was in Prinzhorn's 1922 book Expressions of Madness that Baselitz discovered a drawing that inspired his self-portrait G.- Kopf (1960-1961), shown at the entrance to the exhibition, alongside the work G. Antonin (1962), painted as a tribute to Artaud. He would later be very sensitive to Wilhem de Kooning's gesture when he painted his famous: Women. Philippe Sollers had this to say about the famous Women: "I realised that De Kooning, whom I often went to see in the United States, in the 1970s, in his studio in East Hampton, was a painter who had to be defended because he was already seen as someone who should not have done his Women! The American art market found him too scandalous because of his attitudes in life, etc.". Extract from an interview I did for Beaux Arts Magazine, in 1997. Later, he would create a tribute to Gustave Courbet with the painting B.j.M.C. - Bonjour Monsieur Courbet (1965). In some of the 1967 paintings, Fractured Images, the figures are divided and appear with dogs and trees - in B für Larry [B for Larry] (1967), the tree is the symbol of the myth of the transcendence of the German soul. But here the bodies are shattered, a way of 'destroying' the forms of ancient art that were revived by the Nazi regime. This new research led Baselitz to create Der Mann am Baum [Man with a Tree], in which the motif is partially inverted. These inverted motifs later became the artist's style for a large part of his new creations. "If you want to stop spending time inventing new motifs and still continue to paint pictures, the reversal of the motif is the most plausible solution. This hierarchy in which the sky is at the top and the earth at the bottom is in any case only a convention that we are used to, but which we are not at all obliged to believe" (1989). In 1998 and 2005, Georg Baselitz recalled images from his East German youth in a new series entitled "Russian Pictures" (Russenbilder). From 2005 onwards, Georg Baselitz began the "Remix" cycle in order to establish an even more precise pictorial dialogue with artists who have inspired him, or with his own works, starting with Die große Nacht im Eimer (Remix) (2005), in which a portrait of Adolf Hitler becomes recognisable, and Die Mädchen von Olmo (Remix) (2006): "When you look at history, what do you see? Many artists have also painted remixes of their works, Munch I don't know how many times, Picasso in his last period, Warhol when he was still young. Why not me? (in Le Monde, 2009). In 2014, he began a new series of paintings that appeared to be his important new "stylistic form" in his ongoing work. These are the large self-portraits entitled, not without provocation, Avignon, in reference to Picasso's late work exhibited successively in 1970 and 1973 at the Palais des papes in Avignon, which caused a scandal. Through self-portraits or double portraits with his wife, Georg Baselitz continues his new pictorial reflection on "impermanence" and the physical change linked to age, time and memory. He explains himself as follows: "The thematic scope of my work has narrowed considerably in recent years. The important thing is that I have become more and more isolated in my painting. I have gone deeper and deeper into myself to get everything I do from it. I live with old catalogues, with old photos and do nothing else. I paint between myself and myself and about both of us. That's it. And every now and then someone like Otto Dix, whom I hold in high esteem, comes along." (2017, press release from Thaddaeus Ropac Gallery for the exhibition "Descente"). An artist deeply rooted in European and world history, he has developed a style that transforms the established figurative forms of representation. His iconographic language renews the approach to drawing and the perception of forms. Baselitz has been pioneering these new pictorial creations for over two decades. At times, many autobiographical elements appear in his paintings, such as the tributes to his wife, Elke. The paintings of bodies, evoking three-dimensional forms in movement, appear as if they have been knocked over, catapulted into the void, perhaps as the result of an "accident". Baselitz, an artist of great culture and an avid collector, frequently mentions that the reversal of the figure gave him "the freedom to really confront pictorial problems. He appropriates various themes from non-Western culture and popular culture, which he transforms in his style, while mixing numerous references to the classical tradition of painting, to Italian Mannerism, via Northern painting to modernism. I would like to quote Philippe Sollers again: "At the moment when two or three people are interested in what will be called Cubism, it is not a question of making contemporary art, it is a question of making a breakthrough of truth in the kitsch of the time. It's truth versus forgery."
Patrick Amine
Paris, novembre 2021 |
Georg Baselitz, La rétrospective. Centre Pompidou, Paris, du 20 octobre 2021 au 7 mars 2022.
Commissariat de Bernard Blistène et Pamela Sticht - Le Centre Pompidou 75191 Paris cedex 04 Exposition ouverte tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi. Billeterie sur le net. Curated by Bernard Blistène and Pamela Sticht - Le Centre Pompidou 75191 Paris cedex 04 Exhibition open every day from 11am to 9pm, except Tuesdays. Tickets available on the net. Notes : 1- Georg Baselitz, entretien avec D. Kuspit, "Goth to Dance", repris en français dans : G. Baselitz, Danse gothique. Écrits et entretiens, 1961-2019 Édition établie par Detlev Gretenkort, traduit par Régis Quatresous, Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2020, pages 191-192. Catalogue Editions du Centre Pompidou. 1- Georg Baselitz, interview with D. Kuspit, "Goth to Dance", reprinted in French in: G. Baselitz, Danse gothique. Écrits et entretiens, 1961-2019 Edition established by Detlev Gretenkort, translated by Régis Quatresous, Strasbourg, L'Atelier contemporain, 2020, pages 191-192. Catalogue Editions du Centre Pompidou. www.centrepompidou.fr |