ArtBrussels 2012
optique, cinétique, diabolique…
ArtBrussels 2012
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ArtBrussels 2012

Florian Pugnaire & David Raffini, galerie Torri, Paris

 
 
Mercredi 28 avril, récit…

Sur le mode des salons académiques de Diderot, Philippe Agéa et moi-même allons au vernissage de Artbrussel. Il est question que j'écrive un article sur cette foire. Déjà, je m'interroge sur la manière de procéder. Je sais que je serai confrontée à une quantité impressionnante d'œuvres qu'il conviendra de hiérarchiser en fonction de mon jugement. Ou bien alors, m'est-il possible d'aborder cet événement par le biais des galeries, de leur propre choix ? Sur place, agréable surprise, nous attend Jean-Claude Encalado, muni d'un appareil photo et surtout d'un sens remarquable de cette technique. Mes repérages n'en seront que plus évidents. Je fixerai donc mon attention sur les œuvres, comme je le ferais pour n'importe quelle exposition. Je lui demande alors de parcourir ensemble les allées pour repérer les pratiques qui me paraissent les plus pertinentes.


Legs de l'art optique

D'emblée, je reste interdite devant une installation de Florian Pugnaire & David Raffini, composée de cinq feuilles d'inox "pliées de douleur, en enfilade comme sur un peloton d'exécution", dit le communiqué. La pièce est d'une grande justesse dans ses proportions et ses matériaux et donne à penser qu'une balle l'a atteinte, traversée, tel un corps qui, saisi par la chronophographie, imprimerait sur l'image les différents états de sa chute. Des mots surgissent alors que j'observe l'installation : la chronophographie et ses divers héritages, futurisme, art optique et cinétique, cinéma aussi. Cela fait un moment déjà que j'observe dans le champ des arts actuels un écho à l'art optique, à ses formes plastiques et aux problématiques qui l'accompagnent telles que la vitesse, le mouvement, la décomposition d'une forme, la multiplication d'un même, la perception visuelle, ou comment intégrer le mouvement et la lumière dans la pratique. Vasarely, Denise René et Frank Poper ne sont pas loin. Je décide de poursuivre ma déambulation pour tenter de vérifier l'hypothèse de cet héritage. A quelques encablures de là, se trouvent plusieurs œuvres de Adolf Luther, datées de 1969. Véritable manifeste de l'art optique, ses travaux ont été montrés dans plusieurs expositions historiques portant sur ce mouvement ainsi, bien évidemment, qu'à la galerie Denise René. Nous sommes devant des pièces qui réfléchissent et déforment le visage du spectateur par le biais d'une kyrielle de miroirs placés derrière des demi-sphères. L'effet visuel est saisissant. Ainsi, l'œuvre contemporaine de Navid Nuur, posée quant à elle au sol, échappant en cela à une lecture trop directe du visage du spectateur, se compose d'une suite de miroirs découpés en leur centre par une forme ovale qui démultiplie les points de vues. Le jeu optique s'affirme, plaçant le spectateur dans une situation visuelle instable.


Optique et cinétique

Si dans ces pièces l'œil est le moteur de l'œuvre, certaines, reprenant en cela les principes de l'art cinétique, disposent d'un moteur. Le travail de Lionel Estève, des mobiles plein d'humour tournoyant follement sur eux-mêmes, fait éclater les couleurs et cristallise l'attention. Ce n'est pas un hasard si la forme retenue est le mobile, terme inventé par Marcel Duchamp pour qualifier le travail de Alexander Calder qui déjà annonçait l'art cinématique par la légèreté de ces sculptures, formées de fils et de pièces métalliques mises en mouvement par le déplacement de l'air. Mobile encore, et qui se meut si subtilement est la remarquable pièce de Susumu Shingu, véritable arbre volant dont les éléments renvoient aux parapluies qui réfléchissent la lumière lors d'une prise de vue. Enfin, que serait ce parcours dans l'héritage de l'art cinétique s'il n'était question de Duchamp, par un écho direct à ses Rotoreliefs et Rotatives plaques de verre, tel que l'atteste l'œuvre de Eva Schlegel, une projection sur ventilateur géant qui forme l'écran et décompose le mouvement comme un renvoi explicite à Anémic cinéma.


Diabolisation des foires ?

Avant d'achever ce récit et en guise de conclusion, je voulais souligner que, dans les articles portant sur les foires, il n'est curieusement jamais question d'œuvres. En France, il est un site qui s'en est fait le chantre : les éditos de Paris art.com qui, lorsqu'ils traitent de foire, reprochent systématiquement à ces dernières d'être un lieu marchand. On lit pour exemple ce type d'évidence : "En tant que foire, la Fiac est prioritairement conçue pour vendre, quitte à plier l'art à sa logique marchande et à la demande de la clientèle, au détriment collatéral de la valeur et des dynamiques esthétiques." Mais au fond de quelle nostalgie ce type de propos est-elle le nom ? De la figure de l'artiste telle qu'inventée par Zola qui dans l'Oeuvre la plonge dans la misère la plus noire jusqu'à la faire disparaître ? Comme d'habitude, on préfère les artistes morts que vivants. Les galeries on le sait ont besoin des foires pour soutenir leurs artistes et il est indéniablement souhaitable de (que) ces derniers vivent de leur pratique. Il est absurde, au nom d'une analyse postmarxiste bien pensante de condamner ainsi l'existence des galeries et des foires. Mais, et c'est le travail du critique, il convient pour ce type d'événement, de proposer un jugement esthétique dans la multitude des propositions artistiques.
 
Texte Nathalie Stefanov
Photo Jean-Claude Encalado
Bruxelles, mai 2012
 
 
www.artbrussels.be

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