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Chantal Vey

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Mobile

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Arthur Rimbaud

Convenir d'un moment où l'on pensera à l'autre se disait autrefois se donner un rendez-vous d'esprit et peut-être est-ce à cela que nous convient aujourd'hui les images de Chantal Vey. L'actualité de cette invitation est manifeste car elle intègre comme procès de son élaboration le sujet même de sa démarche et assume la plus contemporaine des réalités : à savoir qu'il s'agit bien ici de photographies (issues de voyages) à propos de circulation, à l'heure où maintenant "ce qui serait fondamentalement en cause à travers les mobilités géographiques, c'est la relation à l'autre considérée à travers la relation au territoire" et lorsque "la crise du local est à la fois cause et conséquence de la difficile acceptation de l'Autre et de l'existence d'un système général des mobilités spatiales" (Rémy Knafou, Vers une géographie du rapport à l'Autre, in La Planète Nomade, Belin, 1998, Introduction au 7ème Festival International de Géographie).
Si Louise Bourgeois rêvait de laisser derrière elle "des souvenirs qui seraient comme des paysages parcourus" c'est véritablement d'une éthique du déplacement dont participe la pratique de Chantal Vey dans le sens où, d'une part, elle partage dans la mobilité, la "qualité humaine" que n'a cessé de rappeler Bruce Chatwin ("Nous n'avons habité en un lieu précis pour une longue période que depuis quelque dix mille ans, une goutte dans l'océan du temps de l'évolution. Nous sommes voyageurs dès notre naissance". B. Chatwin in Anatomie de l'Errance, Grasset, 1996, P.146.), d'autre part parce que son élaboration photographique est "déterritorialisée", inscrite dans un "devenir" cher à Gilles Deleuze ("La capture est toujours une double-capture, le vol, un double-vol, et c'est cela qui fait, non pas quelque chose de mutuel, mais un bloc asymétrique, une évolution a-parallèle, des noces, toujours "hors" et "entre". Alors ce serait ça une rencontre." G. Deleuze/C. Parnet, Dialogues, Flammarion, 1996, p.13.), où c'est bien l'autre soi-même révélé qui seul conditionne toute définition de l'étranger.
Rappelons alors le sens étymologique commun de mobile et de motif (movere) car, au-delà de tout cliché "nomadiste" (je renvoie ici à l'excellente mise au point de Denis Retaille)(Denis Retaille, Concepts du Nomadisme et nomadisations des concepts in La Planète Nomade, chap. III, Belin, 1998) c'est profondément une esthétique du déplacement qui s'élabore dans ce travail poussant l'analyse des mobilités spatiales jusqu'à l'analyse de leur temporalité, soulignant à la fois l'illusion ou la véracité de leur vélocité spatiale et la relativité de leur inscription dans la durée, mesurant ainsi leur degré de présence, leur (ir)réalité.
Esthétique du déplacement aussi dans la fonction d'Echo ("A l'amour de soi (Echo) offre l'issue d'une poésie du désir". Pour un développement de cette fonction mythologique je renvoie à l'ensemble du remarquable livre de Monique Ghely-Ghedira, La nostalgie du Moi, PUF, 2000) ici maintenue, en tant que, comme chez Vermeer (Déjà utilisateur d'une chambre optique) (depuis Le Géographe en passant par tous les motifs cartographiques par exemple) il s'agit de percevoir le mouvement de la résonance entre l'être et le réel, la durée de cet entendement (Sur l'entendement chez Vermeer et une de ses applications à la compréhension de l'autre-féminin en particulier voir Stéphane Zagdanski, Les penseuses de Vermeer, in L'infini, n°54, Printemps 1996, P. 48) dans le jeu des représentations.
Cette esthétique s'établit (inventio) dans chaque image, envisagée comme in-cursion où l'attention est portée au détail ou à l'insolite et révèle le souci de la fugacité, un rapport premier à la vitesse ("C'est notre durée qui pense, la première production de la conscience serait sa vitesse propre dans sa distance du temps, la vitesse serait alors l'idée causale, idée avant l'idée". Paul Virilio, in Esthétique de la Disparition, Galilée, 1989, p.29). Et c'est bien une fugue qui se développe (elocutio) dans l'ex-cursion que propose l'exposition reconstituée d'une mosaïque qui rend légale (sans aléatoire, ni systématique) la circulation de la mémoire entre la photographe et le spectateur dont le regard alors participe aussi de ce nomadisme de pensée qui fonde une démarche jusqu'au bout ouverte sur l'altérité.
Pour cet embarquement aux Voûtes du Port de Royan, c'est de la ville, éminent lieu-mémoire de la modernité, dont il est question pour Chantal Vey ("Celui qui veut voir le clocher de l'église doit quitter sa ville". F. Nietzsche) dont les images nous disent comme Jean-Luc Nancy que "ce qui reste de la ville, une fois passé la citadelle, une fois passé le bourg et le faubourg, la capitale et la métropole, c'est précisément encore au-delà de ses formes, l'expansion et la prolifération, c'est la contagion des lointains, la communication disséminée, l'énergie fragile d'un sens inédit, rebelle à toute résidence" (Jean-Luc Nancy, La ville au loin, Mille et une nuit, 1999).
Alors l'Echo photographique murmure peut-être, après le mélancolique Narcisse rimbaldien du préambule, une fugue qui dit encore le besoin de carte (flache - fläche : plan) afin de se découvrir en l'Autre sans amnésie ni simulacres.

Jérôme Mathias Bel (correspond à la série "Captures")

 

Poétique des Gestes

Dans cette série de détails, mon attention s'est concentrée sur la pause d'une attitude.
Comment rendre la visibilité de cet instant où immobilité et geste se confondent ?
Mon regard oscille ici entre corps animés et inanimés et insiste encore sur l'ambiguïté de ces images où se fixe un geste de vie.

"Dans les photos de Chantal Vey, la vie ne tient qu'à un fil tendu vers ces instants limites où l'on bascule ailleurs, quand nos repères s'estompent. Ces changements imperceptibles qui se déroulent sous nos yeux, seuls des détails infimes peuvent en restituer les lignes de force. Naissance et mort y vont de concert sans que les rides du temps révèlent autre chose qu'un paysage. Même si certains sujets touchent au sacré, toute métaphysique est absente d'une telle vision du monde, brûlante sous ses apparences de glace. La vie, dans la violence de son évidence, éclate donc ici en fragments complexes, déroutants parfois.
Souvent on croit deviner, des cheminements secrets qui échappent à l'analyse. Signes égarés dont la raison d'être dépend du trait qui les relie. Un peu comme les familles d'étoiles dispersées dan le ciel."

Pierre Cadars (correspond à la série "Gestes")