Franck Scurti, artistes sur ecran, exporevue

artistes sur ecran, oeuvres
Franck Scurti,
Interview réalisée
en octobre 1999

artistes

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Comment est né ce projet ?

Et bien comme tout projet, du hasard et des rencontres. Je prête une attention particulière aux supports d'information. Un jour, en feuilletant Libération, j'ai été intrigué par une publicité dépourvue du moindre slogan. Elle représentait une unique feuille d'arbre sur une page. Aucune mention de l'annonceur ou même de la campagne n'accompagnait ce motif isolé. Immédiatement, la feuille avec ses nervures m'a évoqué l'idée d'empreinte, plus précisément l'idée de l'empreinte d'un pouce, comparable à celles que l'on voit dans les formulaires d'identité judiciaire. Je l'ai donc découpé, puis archivé. Ce processus d'archivage est une façon de me laisser le temps de réfléchir sur un motif ou un signe qui a capté mon attention. Par ailleurs, je travaille toujours par analogie. Avec le temps, cette image de feuille s'est imposée naturellement à moi comme une métaphore de l'identité. C'est pourquoi, je l'ai reprise pour écrire Wanted. Cet acte d'appropriation d'une image pouvait être perçu comme un geste purement auto-réflexif. Il fallait donc ouvrir l'œuvre pour me permettre de la réinvestir dans le domaine public. Le format de l'affiche s'est assez logiquement imposé.

Pourquoi avais-tu cette volonté de la replacer dans le domaine public ?

Si tu regardes attentivement l'affiche, tu vois, par transparence, qu'au revers il y a un article sur la situation au Kosovo. De cet article, tu ne devines que le gros titre inversé. Je voulais produire une information à double détente en utilisant sciemment les codes des médias. Mais, attention ce travail n'est pas une pose. Je ne suis pas dans la dénonciation. Au contraire, il y a dans cette œuvre une sorte de tension entre son contexte urbain (les murs de la ville), son iconographie mystérieuse (une feuille d'arbre et un mot Wanted) et enfin, sous-jacent, un article sur une situation politique de crise. La grille de lecture est totalement ouverte. Cette affiche doit être perçue comme un appel au spectateur puisque chacun peut y projeter son propre niveau de compréhension.

Mais alors pourquoi ce travail est-il anonyme ? Ton nom n'apparaît à aucun endroit de l'affiche.

Puisque la feuille d'arbre peut évoquer l'empreinte d'un pouce, puisque ce motif complété du mot Wanted est une invitation à l'appropriation, je ne pouvais pas signer. La pratique devait rester anonyme. Je ne cherche absolument pas à faire un tableau pour les murs de la ville comme le font certains. De plus, j'utilise ici les codes des médias. Or, ces codes sont très précisément orientés politiquement et commercialement. En relançant dans l'espace public une image déjà issue des médias, je cherchais à créer une sorte de rébus pour l'homme des foules. Quant à ceux qui connaissent mon travail, ils sont aussi désorienté que n'importe quelle personne du public. Ma logique de création et de production ne répond à aucun système.

Cependant produire pour l'espace public n'est pas un geste anodin ?

Tout artiste un tant soit peu sérieux se pose naturellement la question de la légitimité. Quelles sont les procédures nécessaires à chaque travail pour que celui-ci acquiert une sorte d'évidence, est une question que je me pose continuellement. Pour moi, ce motif est avant tout une forme vide qu'il me faut ensuite réinvestir pour lui permettre d'atteindre une certaine expansion dans l'espace de la galerie ou l'espace de la rue.

Cette même affiche présente dans une galerie ou dans la rue ne possède pourtant pas le même poids ?

C'est vrai. C'est pourquoi je fais une grande différence entre les présentations que j'ai pu réaliser à la galerie Anne de Villepoix, à ARCO, à la galerie Bunkamura au Japon et les affichages sauvages dans la rue et l'original d'où fut tiré les affiches. L'original est la seule chose que j'offre à la vente. C'est aussi le seul élément qui soit signé puisque qu'il est la trace unique et directe d'un geste artistique. L'affichage dans les galeries répondait à une volonté d'information ironique, basé en partie sur l'identité de l'artiste, envers un milieu spécialisé. Ce geste aujourd'hui effectué, je peux donc investir le territoire pour lequel ce travail est naturellement destiné : l'espace urbain. J'aime cette idée de transposer un geste aux dimensions de la cité. La rue, la ville, l'environnement urbain ne constituent pas les sujets de mes travaux. Ce sont tout au plus des thèmes.

Tu ne t'es toujours pas expliqué sur cette idée de dissémination de ton œuvre ?

Comme je l'ai dit précédemment, cette affiche produit une information non orientée qui circule librement dans des lieux différents. Ses références, ses codes, transmettent un message que l'on peut lire de plusieurs manières. La première, la plus poétique, la plus ouverte, est cette référence à l'autre, cette interpellation. Une feuille avec ses nervures apparaît dans sa singularité sur une affiche. Un mot (Wanted) hâtivement griffonné déplace le motif vers une signification plus complexe et plus intrigante. Que veut-elle dire ? qu'est-ce que son concepteur recherche ? doivent être quelques unes des réactions du public. Certains repéreront une simple référence à l'environnement avec un effet de mise en abîme. Non seulement, l'espace urbain offre peu d'espace vert, mais de surcroît l'œuvre est réalisée avec du papier issu de cette industrie responsable de la déforestation (rires). Plus subtilement, le Wanted renvoi au système anthropométrique. Il évoque l'idée d'un être, l'idée d'une personne que l'on recherche. C'est comparable à une invitation à se retrouver. Enfin, le déchiffrement du mot Kosovo lui donne soudain une dimension supplémentaire. Je voulais non seulement permettre aux gens de s'interroger sur leur propre identité, mais aussi de se positionner face aux signes qui contaminent l'environnement urbain. Or, travailler à ce niveau là, c'est bien ôter à l'administration et aux médias un peu de leur pouvoir.

Cette affiche s'accompagne d'une phrase imprimée - The City Is Not A Tree - sur une feuille de papier et que l'on ne peut trouver que dans certaines galeries. Pourquoi cette idée d'une œuvre en deux parties ?

Tu fais là référence à un aspect de l'œuvre qui a beaucoup intrigué les gens. The City Is Not A Tree est une phrase destinée au milieu de l'art. Je cherchais à indiquer, sous forme de négation, qu'il faut réapprendre à voir, réapprendre à lire une image avec ses codes. L'affiche possède avec discrétion un côté propagande que j'aime bien. Or, face à un milieu essentiellement concentré sur d'insolubles problèmes esthétiques, je voulais indiquer combien le travail d'un artiste peu simultanément être très simple et efficace visuellement. Cette phrase est une sorte de pléonasme. Elle réaffirme l'urgence du message. C'est aussi une façon d'indiquer que je ne crois pas à l'art politique mais que je suis parfaitement conscient que par essence tout art est politique, c'est-à-dire qu'il interroge le vivre en commun des hommes.

Pourquoi avoir choisi ce moment précis alors que se multiplie, dans Paris, nombres d'expositions et manifestations vantant la production contemporaine actuelle. Est-ce une manière pour toi de te démarquer ?

Non, cette conjonction heureuse est totalement le fruit du hasard. La production de l'affiche est issue d'un workshop avec les étudiants des Beaux-Arts de Toulouse. Les financements, essentiellement privés, ont permis de lancer la production alors que je n'étais pas au courant de ces manifestations. Je me suis bien sûr interrogé pour savoir s'il ne valait pas mieux attendre un peu. Cela aurait été ridicule. L'affiche répond à une situation précise parfaitement inscrite dans le temps. Finalement, je suis assez content de cette coïncidence. Occuper l'espace public me semble désormais plus important que de se quereller pour savoir comment il faut investir les institutions françaises.

L'affichage est donc limité dans le temps ?

Évidemment. C'est une œuvre ponctuelle. A cette fin, j'ai contrôlé le moment de production. J'ai supervisé dans la mesure du possible les installations. Mais, ce qui m'intéressait c'était surtout de voir comment un code, un signe retombe dans le fond indifférencié de nos imaginaires. L'attitude du public à ce sujet est frappante.

Comment cela ?

Et bien, dès que les affiches sont collées, nous sommes confrontés à quatre types de réaction. Premier cas, l'affiche est purement et simplement enlevée par les entreprises chargées de la propreté de la voirie. Dans la plupart des cas, elle est vandalisée, déchirée, graphitée, lacérée. Ce vandalisme intervient très rapidement, souvent quelques heures après la pose. Dans quelques exemples, elle est récupérée. On s'aperçoit alors qu'elle a été très soigneusement découpée par quelqu'un. Enfin, exceptionnellement, elle reste sans aucune altération.

Pourquoi veux-tu que les gens documentent ce travail par la photographie ?

C'est une manière de prolonger le travail. Il me semblait souhaitable de placer cette œuvre dans un lieu qui permettent à d'autres publics d'en prendre connaissance. L'espace de l'échange, l'espace public prend aujourd'hui d'autres dimensions, d'autres configurations. Internet en est sans doute un.

Propos recueillis par D. S.

A SUIVRE...