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Christophe Loyer
Chaque sculpture du Cirque Philosophique, lorsqu'elle apparaît, est comme une étoile qui s'allume sur un ciel obscur : le champ d'application de la Règle. Pourtant ce firmament protecteur n'occupe pas tout l'espace, car il existe (il doit exister) des jeux contrevenant à sa Règle. Mais appartiennent-ils encore au Cirque Philosophique ? sont-ils même seulement, de son point de vue, concevables ? Un point de vue extérieur à cette Règle ne se trouverait-il pas, en effet, automatiquement intérieur à une autre Règle, principe d'un monde incompatible avec celui-ci au point de le nier et de le faire sombrer d'un coup derrière l'horizon des possibles ? Aussi la question "pourrait-il exister une autre Règle ?" résonne ici d'échos apocalyptiques, car sa pertinence coïnciderait avec la fin de cet univers au sein duquel règne la promesse d'une continuité, d'une cohérence sans faille découlant de cette simple et unique loi universelle, divine dans son obscur arbitraire, dans sa lumineuse évidence. Et c'est sur l'abîme de cette perspective vertigineuse que se déploient, en réalité, les figures des acrobates du Cirque Philosophique…
Chacun de ces funambules porte en lui une gravité, une masse obscure émanant de sa présence, de la certitude qui s'en dégage. Et cette conviction altère l'espace autour de lui de la même façon qu'un corps, en vertu de sa masse, modifie le champ gravitationnel à l'intérieur duquel il est plongé. Ainsi chaque acrobate modifie l'espace, mais aussi le subit, car ce champ de force avec lequel il interagit et qui s'applique en chaque point de l'éther, exprime la présence, obscure elle aussi, du destin.
Il ne s'agit pas de la gravité d'un geste ou d'une attitude, mais bien d'une gravité ontologique, d'une ténacité qui prend sa source dans l'épaisseur même de l'être. Ce qu'à chaque fois elle manifeste, c'est cet abîme que chacun porte en lui et qui, mystérieusement, est aussi celui qui s'ouvre sous ses pas. En un jeu de miroirs dans lequel intérieur et extérieur deviennent image l'un de l'autre, chaque acrobate s'avance librement dans l'abîme parce qu'il est lui-même porteur d'abîme. C'est pourquoi, pour lui, être signifie réfléchir l'abîme.