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Natalie Lamotte Natalie Lamotte Natalie Lamotte
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Natalie Lamotte. "Une ogresse en peinture"

Les œuvres récentes de Natalie Lamotte sont toutes marquées du sceau de la vie. Réalisées à partir d'une seule couleur ou plutôt de tons tous dérivés du rouge ou remontant vers le rouge, celui du sang comme celui de la terre, celui de la vigne comme celui de la peau, ces toiles font exploser sous nos yeux des formes ambiguës mais vivaces.
À l'évidence, ce ne sont pas des fleurs et pourtant il y a dans ces formes quelque chose qui rappelle les replis de la rose ou de la tulipe. Ce ne sont pas non plus des fragments de chair ou de muscles, même si parfois on se plait à y voir une bouche, des lèvres, des excroissances de chair mise à nue. Ce ne sont pas non plus des organes, du moins pas des organes dessinés d'après modèle et qui seraient identifiables comme tels. Et pourtant ces œuvres, lorsqu'on a le plaisir de les découvrir côte à côte, nous font irrésistiblement penser à un ensemble d'éléments organiques provenant de l'intérieur du corps. Nous ne sommes pas dans une évocation violente de la chair, nous ne sommes pas dans un monde où la viande aurait la part belle, même s'il est impossible d'en douter, c'est bien le corps qui ici parle. Le mystère et la force des œuvres de Natalie Lamotte tiennent sans doute en ceci que si le corps y parle, c'est littéralement.
Le travail qu'elle réalise aujourd'hui fait suite à des périodes où elle était plus tournée vers le dehors, vers la magie du visible, vers la jouissance des formes et des couleurs qui règnent dans le grand cirque imaginaire du monde. Il ne s'agit pas pour elle de rendre compte d'une quelconque réalité, mais bien de laisser remonter du ventre des forces, et de les laisser se transformer en formes au moyen d'une sorte d'alchimie liée à la concentration mentale et engendrée par un élan pictural.
Que ces formes ressemblent, de près ou de loin, à des organes ou à des fragments de ce corps que notre peau abrite et cache ne devrait pas nous surprendre. Souvent les peintres disent travailler avec leur "tripes", au sens où ils viennent balayer le visible qui les hante de couleurs et de gestes qui, disent-ils, naissent dans l'intimité de leur chair. Rares sont ceux, cependant, qui laissent à ces mouvements d'expression, à ces pulsions violentes, à ces élans de la chair, la liberté et le temps de venir "tels quels" se poser sur la toile.
C'est pourquoi on peut dire que l'œuvre actuelle de Natalie Lamotte est tout entière une réalisation imaginale des sources même de la puissance de peindre. Ses toiles nous disent ce moment d'avant l'image où la forme se manifeste non pas comme la transcription d'un visible présélectionné par l'esprit, mais comme l'invention d'un état situé exactement entre l'inconsistance des fluides et la consistance de la chair. Sa peinture est comme la parole du corps même.

Commencements

Natalie Lamotte peint depuis vingt ans. Quoique ayant fait des études d'arts plastiques, elle a appris la peinture en autodidacte, ce qui signifie qu'elle a essayé elle-même sans les conseils avisés d'un professeur, les matières et les techniques, les mélanges et les gestes. Elle a, dans un premier temps, cherché à s'approprier un monde de rêve qu'elle a su aussi aller voir de près. Les évocations africaines sont la base essentielle de ses premières œuvres. On y voit défiler d'une manière à la fois distincte et libre des animaux et des têtes, des masques et des paysages, des scènes inventées et des superpositions de formes qui donnent parfois à ses œuvres l'allure de grands collages légers et joyeux. Les années quatre-vingt-dix sont, elles, marquées par un approfondissement du travail sur la couleur, un mouvement vers l'abstraction ou du moins un éloignement de la reproduction de formes trouvées dans la réalité. Le geste se fait ample, les fonds deviennent plus sombres et les couleurs plus éclatantes, jouant entre elles de contrastes appuyés. On assiste à une sorte de lente dissolution du visible dans un chaos coloré comme s'il importait de moins en moins pour Natalie Lamotte de rendre compte du réel ou d'offrir au regard du spectateur des scintillements de formes qu'il pourrait encore reconnaître. Ce que l'on découvre alors et qu'elle perçoit comme un avenir désormais ouvert devant elle, c'est que l'abandon radical du motif, la mise entre parenthèses du jeu avec les couleurs, ne sont pas des pertes mais des portes ouvrant sur un mystère plus profond. La couleur se libère de la forme à l'égal de la liberté que prend le geste lui aussi par rapport à la forme. Mais que veut dire forme en ce cas ? La forme est simplement la traduction d'un élément que le cerveau a déjà enregistré et qu'il joue donc à reconnaître. Le peintre qui travaille avec les formes reconnaissables offre en fait à celui qui regarde un moment de plaisir dans la mesure où celui-ci est assuré de s'y retrouver au terme de son parcours sur la toile. Déchiffrer un tableau, plonger dans sa complexité, est une opération qui se fait alors avec ces protections que sont les choses, ces formes connues de tous.

Les voies du corps

En acceptant de réduire sa toile à une surface sur laquelle ne viennent se montrer que des formes le plus souvent uniques et ambiguës, Natalie Lamotte a fait un choix difficile mais hardi. Il y a d'abord eu les fonds écrus, mais leur matité semblait absorber ce qui venait se poser sur la surface. Elle couvre donc maintenant ses fonds d'un blanc lumineux, agressif, d'un blanc qui fait comme un mur ou un gouffre. Parallèlement elle a cessé de peindre sur des toiles accrochées au mur pour les poser au sol et faire de son geste pictural peinture, une danse, une invention de l'espace. Mais c'est surtout sa conception de la peinture qui a changé. Peindre, c'est désormais pour elle, se livrer à une "alchimie psychomotrice" d'un genre tout à fait particulier. Natalie Lamotte laisse en effet parler son ventre, ses organes internes ou plutôt la force vitale qui est en elle. Dans la Grèce antique, celle du temps de l'Iliade, celle d'avant l'invention de la cité et de la philosophie, les noms des organes signifiaient à la fois la fonction vitale qu'ils accomplissaient, mais étaient aussi une métaphore de ces zones encore inconnues qui était littéralement en train de s'inventer. Ces zones sont celles que les émotions ont littéralement créées. Elles sont le matériau sans lequel notre monde intérieur n'existerait pas. Ces zones invisibles mais vivantes sont, aujourd'hui encore, la source inépuisable des métaphores et des images. Ainsi les poumons étaient associés au souffle vital, le cœur, au battement du sang dans les tempes au moment des crises émotionnelles, les genoux à la puissance créatrice sexuelle, la tête, aux images qui troublaient et n'étaient pas encore des concepts.
Il semble que Natalie Lamotte retrouve avec sa peinture un moment originel de ce type-là. En effet, elle laisse monter du ventre, de cette intériorité sans nom que l'on nomme ainsi, des flux, des forces, des turbulences et elle les laisse mariner sans les associer d'entrée de jeu avec des formes identifiables, comme si elle voulait garder le plus longtemps possible le contact avec l'origine de ces élans. Et elle y réussit. En effet, il semble que les formes isolées et charnelles, violemment colorées de rouge mais d'où ne coule aucun sang soient comme des projections directes de ce qui habite la nuit du corps. Elle nous donne donc à voir un invisible tout particulier, celui de nos organes dans le moment de leur tremblement, avant qu'ils ne deviennent morceau de notre anatomie, et celui des forces qui nous émeuvent et nous meuvent.
Depuis peu, Natalie Lamotte mouille ses couleurs d'eau, ce qui donne à ses formes, parfois, un aspect brouillé. Celui-ci renforce le sentiment de se trouver face à des éléments organiques et contribue à nous plonger dans l'expectative. En effet, nous nous trouvons devant des masses colorées que nous ne reconnaissons pas au sens où nous pourrions dire, c'est une table ou une chaise que je vois, mais que nous reconnaissons d'une autre manière, plus intime, plus profonde. La table, sur une toile, on la reconnaît avec les yeux de la raison. Lorsque l'on découvre les formes que peint Natalie Lamotte, on ne reconnaît rien que l'on puisse nommer et pourtant on est comme pris par un sentiment étrange, celui de savoir de quoi il s'agit. Ainsi, sans que les mots aient besoin de poser leur cohorte d'encre et de sens sur la peau des couleurs, la peinture de Natalie Lamotte nous offre une compréhension immédiate d'une partie cachée de nous-mêmes.
Ainsi cette période dans le travail de Natalie Lamotte est-elle celle de la plongée non seulement dans les arcanes de la chair comme réservoir d'images, mais comme matrice même des images.

Chaque fois réinventer l'espace

Chacun de nous croit savoir ce qu'est l'espace. En effet, nous vivons, sentons, marchons, reconnaissons choses et lieux et imaginer que cela pourrait être autrement nous est à peu près impossible. Pourtant, l'un des aspects du travail de l'artiste consiste à ne pas s'en tenir à ces évidences et à tenter de comprendre en quoi nous nous trompons en les acceptant sans les interroger.
Travaillant actuellement sur un projet de scénographie pour une adaptation théâtrale du livre d'Henry James, Le tour d'écrou, Natalie Lamotte se trouve confrontée à un problème essentiel, celui de l'espace. En effet, si la peinture accepte sans difficulté des formes qui viennent se poser sur une surface sans que soit nécessairement posée la question de la profondeur ou de l'articulation des plans, un travail scénographique oblige à une approche différente. Mais ce n'est pas seulement un espace physique que Natalie Lamotte doit occuper avec ses toiles, c'est la métaphore d'un espace mental qu'elle doit faire exister. L'enjeu, en effet, est de rendre compte de ce qui se passe dans la tête du personnage principal et pour cela de faire de la scène un double de son cerveau. Elle se retrouve ainsi à la croisée de deux enjeux essentiels pour la suite de son travail. Le premier est celui de la profondeur avec laquelle elle va devoir jouer et faire jouer entre elles ses toiles, par des effets de superposition ou de transparence. Le second est plus important encore, puisqu'il s'agit cette fois de passer de la métaphorisation des organes internes à la métaphorisation de l'organe capital qu'est le cerveau.
En effet, notre perception de l'espace n'est possible que par ce que nous avons un cerveau. En tentant de peindre les flux qui remontaient du ventre, Natalie Lamotte devait en quelque sorte mettre les programmes cérébraux de contrôle entre parenthèses pour que ces flux s'incarnent le plus directement possible dans une forme. Cela ne pouvait se faire que par une mise entre parenthèses de la question de la profondeur dans la toile.
En acceptant de se confronter à la question de l'espace, elle ne peut échapper à ce constat que l'espace est d'abord mental, qu'il s'invente dans et par le cerveau avant d'être reconnu dans la réalité. Elle sait que les formes sont, elles, issues du travail de métaphorisation qu'y s'effectue à partir du ventre. Elle va devoir mettre en œuvre une nouvelle approche du tableau comme double du cerveau, non comme organe de la pensée, mais comme matrice de l'espace perçu. Alors elle s'approchera de ce secret auquel depuis toujours la peinture nous confronte, à savoir qu'en faisant paraître des formes imaginaires sur une surface plane, elle nous dévoile en fait les arcanes de cette mécanique par laquelle nous existons. Car du ventre au cerveau, le sang en circulant génère, dissout et reforme ces images sans lesquelles aucune part du visible n'aurait pour nous de sens. La peinture est une dévoration incessante et une régénération tout aussi interminable, non pas de soi, mais des images et de l'espace sans lesquels nous n'existerions pas.

Jean-Louis Poitevin, Novembre 2005

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