Alice court après le lapin blanc
Elle plonge à sa suite dans le terrier. Et bascule. Et tombe à la renverse.
L'envers du miroir.
Les mots de Lewis Carroll et l'émerveillement d'un rêve d'enfant, cruel et fabuleux, dans le creux d'une main.
Les photographies de Dalia Nosratabadi et le renversement du miroir, troublant et touchant, dans l'autre.
Dalia écrit au fil de ses photographies un conte moderne. Point de chat qui sourit certes, mais la même facilité à nous emporter avec elle dans ses paysages inversés. La technique est d'une simplicité confondante tels des mots d'enfants. Elle triche, s'amuse de notre regard qui ne voit pas. Avec plaisir et délectation, nous nous prenons au piège de son jeu photographique.
Nous la suivons, petit lapin blanc, au gré de ses voyages.
Dalia pose son objectif sur le bout de notre nez : des lieux de cartes postales qui soudain respirent d'une vie nouvelle. Ces monuments chargés d'histoire sur lesquels le regard n'accroche plus, glisse, alourdi par les années d'usure visuelle, elle nous les offre avec la même fraîcheur qu'un "T'as vu comme elle est haute maman la Tour Eiffel ?". Nul besoin de complexité dans le processus, Dalia charge toutes ses images d'une douceur et d'une tendresse qui lui sont propres. L'espace d'un instant, elle prête ses yeux à qui le désire, et emmène quelque part dans les nuages.
Dalia pose son objectif sur le bout de nos pieds : les chaussures mouillées, les orteils humides, des images arrachées au bitume. Des eaux d'une rizière, de flaques, de chaussées détrempées, les images sont le produit du miroitement. Un regard, un objectif, un reflet, une photographie. Strate après strate, Dalia construit la profondeur de ses images, de son univers. Quid du haut, du bas, du nord, du sud ? La perspective tourbillonne et le regard se brouille dans les volutes d'une chenille fumeuse de pipe. Dans cet environnement aqueux, elle trouve la densité et le trouble nécessaires à la force de ses clichés. Le nez rivé au pavé, elle nous pousse un peu plus loin dans notre propre terrier.
Les genoux sales, les cheveux ébouriffés, les pieds mouillés nous sortons de l'univers de Dalia un peu retournés. Le beau et le profond se mêlent et s'emmêlent.
Et, dans un sursaut, les yeux grand ouverts, nous nous éveillons.
D'un rêve devenu réalité.
Caroline Spindler, Bruxelles, décembre 2007